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Page:Widmann - La Patricienne, trad P César, 1889.djvu/175

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la patricienne

— Vous avez raison, on me prendrait pour une aventurière quelconque. Oui, c’est vous qui êtes dans le vrai : je ne dois point paraître devant cette jeune et noble demoiselle. Je trouverai déjà bien une autre occasion. Mais, vous, monsieur, il est bon que vous me connaissiez mieux. Vous aurez sans doute pitié de moi. Car, bien que je ne sois pas encore au fond de l’abîme, je n’en suis pas moins coupable à mes yeux, tellement même que je ne me pardonnerai jamais. Voulez-vous écouter l’histoire de mon malheur ?

— Je vous en prie, si vous pensez que ces confidences doivent vous soulager.

— Je serai brève, reprit-elle, après un moment de réflexion, pendant lequel elle rassembla probablement ses souvenirs.

Je suis la fille d’un pauvre pasteur protestant de la Prusse orientale. Nous étions plusieurs enfants. À la maison paternelle, père et mère ne cessaient de nous répéter : Étudiez, étudiez, afin qu’un jour vous puissiez voler de vos propres ailes. Et le conseil avait du bon. Toutefois, dès qu’il est question de choisir une vocation, on ne tient généralement pas assez compte du tempérament d’une jeune fille. J’ai toujours eu un caractère très passionné. La moindre des choses m’intéressait : je ne restais jamais indifférente. Quand il s’agissait de prendre un parti, j’étais aussitôt tout feu et toute flamme. L’injustice, en quelque lieu que je la découvrisse, dans le monde ou dans les livres, m’exaspérait, me tournait le sang. J’avais des rages impuissantes.

Je lisais beaucoup, peut-être trop. C’était mon seul plaisir. De préférence je choisissais les ouvrages avec