Page:Wiele - Ame blanche.djvu/52

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
50
ÂME BLANCHE

donnaient l’air d’un ballon captif privé de nacelle, le lustre à pendeloques du salon ; elle vérifiait le mécanisme des deux lampes-carcel ornant la cheminée de la salle à manger. Dès la Noël, la table à coulisses placée au milieu de cette chambre se trouvait pourvue de deux rallonges et ma tante se chargeait d’étaler sur cette table agrandie la plus merveilleuse nappe en toile damassée qui se pût voir ; d’avance on y dressait le couvert, à l’aide d’un service de Delft, hérité d’une lointaine ascendance et comptant plusieurs siècles d’âge : il était complet, intaet, sans qu’un râvier y manquât, sans une ébréchure à aucune de ses pièces, sans une fêlure, sans un éclat ; la verrerie employée ce jour-là était de Venise, ancienne, et l’argenterie, de style Henri II, provenait de cet argentier de Harlem, à qui Jacqueline de Bavière commandait jadis son orfèvrerie la plus artiste.

Ces choses antiques semblaient neuves, tellement elles avaient peu servi, tellement elles avaient été soigneusement conservées par des générations successives de sages bourgeoises flamandes, vivant comme Mme Veydt elle-même vivait. Et c’était très somptueux, ce linge, fin comme un linge d’église, ces vaisselles peintes au camaïeu, ces verres irisés, en forme de calices, — d’une somptuosité démodée et un peu mélancolique.