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DE DORIAN GRAY

— Ah ! Ne me faites pas souvenir de cela ! s’écria Dorian Gray.

— Notre hôte est plutôt désagréable ce soir, remarqua avec enjouement la duchesse. Je crois qu’il pense que Monmouth ne m’a épousée, d’après ses principes scientifiques, que comme le meilleur spécimen qu’il a pu trouver du papillon moderne.

— J’espère du moins que l’idée ne lui viendra pas de vous transpercer d’une épingle, duchesse, dit Dorian en souriant.

— Oh ! ma femme de chambre s’en charge… quand je l’ennuie…

— Et comment pouvez-vous l’ennuyer, duchesse ?

— Pour les choses les plus triviales, je vous assure. Ordinairement, parce que j’arrive à neuf heures moins dix et que je lui confie qu’il faut que je sois habillée pour huit heures et demie.

— Quelle erreur de sa part !… Vous devriez la congédier.

— Je n’ose, M. Gray. Pensez donc, elle m’invente des chapeaux. Vous souvenez-vous de celui que je portais au garden-party de Lady Hilstone ?… Vous ne vous en souvenez pas, je le sais, mais c’est gentil de votre part de faire semblant de vous en souvenir. Eh bien ! il a été fait avec rien ; tous les jolis chapeaux sont faits de rien.

— Comme les bonnes réputations, Gladys, interrompit lord Henry… Chaque effet que vous produisez vous donne un ennemi de plus. Pour être populaire, il faut être médiocre.

— Pas avec les femmes, fit la duchesse hochant la tête, et les femmes gouvernent le monde. Je vous assure que nous ne pouvons supporter les médiocrités. Nous