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Page:Willaume - L'île au massacre, 1928.djvu/39

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L’ÎLE AU MASSACRE

— Sûr.

Jean-Baptiste braqua sa longue-vue dans la direction indiquée par l’Indien.

— En effet, dit-il, c’est bien le fort Saint-Charles. Dieu ! Quand je songe que nous avons failli ne plus le revoir.

— Comme le pauvre la Jemmeraye.

— Hélas !

Pierre regarda à son tour.

— C’est curieux, dit-il, il me semble y avoir une activité extraordinaire, là-bas. Comme nous le savons, une « activité extraordinaire » régnait, en effet, au fort. Le mariage d’Amiotte se faisait avec munificence. Tous les esprits étaient surexcités. Chose qui ne lui arrivait que rarement, Lavérendrye sur la prière de François, avait consenti à ce que son fils fit une distribution d’eau-de-vie.

— N’en donne pas aux femmes surtout, et très peu aux Indiens, avait-il recommandé.

Amiotte, pompette, était rouge comme une tomate.

— Ton nez est en feu, lui dit La Londette.

— Tu n’as pas regardé tes yeux donc ? Ils lancent des éclairs.

Les tables avaient été sorties des cabanes. On y voyait traîner les restes du festin. Des bancs renversés jonchaient un peu partout la cour du fort. Assis à l’ombre, quelques Indiens fumaient. Des employés, couchés, faisaient la sieste. Ce dîner plantureux les avaient anéantis. D’autres, plus joyeux ou plus résistants, chantaient et s’amusaient. Parfois l’un d’eux s’approchait un peu trop près de la jeune mariée. Alors Amiotte se levait fulgurant et invectivait l’audacieux.

Touron qui était sentinelle au nord-est du fort cria tout à coup :

— La Londette !

— Voilà.

— Viens, vite.

La Londette se leva en titubant un peu, pour aller rejoindre celui qui l’avait appelé.

— Regarde, lui dit Touron. Vois-tu ces canots là-bas ?

— Aux armes ! cria La Londette. Voilà les Indiens. Il y a, au moins, huit canots. Touron le regarda, ébahi.

— Hein ! Huit canots ? Non mais, tu vois double. Il y en a quatre.

— Huit, que je te dis.

— Quatre.

— Huit, hurla La Londette qui commençait à se fâcher.

— Et puis ce ne sont pas des Indiens, répondit Touron qui décidément avait pris son parti de l’entêtement de La Londette.

— Je veux bien. Je ne peux pas voir de si loin.

— Tu ferais bien d’aller prévenir Monseigneur.

Quand La Londette entra dans le salon où s’étaient retirés Lavérendrye et ses fils un sourire se dessina sur les lèvres de ceux-ci. Le brave compagnon apparaissait si comique avec sa face cramoisie et son bonnet tout de travers !

— Eh bien ! La Londette, demanda l’explorateur, qu’y a-t-il ?

— Mons… Mons… Monseigneur, bredouilla-t-il, les Indiens vont attaquer.

— Comment ?

— Où sont-ils ? demanda François.

— Là-bas, fit La Londette en montrant au-delà de la fenêtre le lac où l’on apercevait distinctement maintenant les canots de Jean-Baptiste.

Louis-Joseph s’était précipité sur la longue-vue et regardait.

— Mais père, dit-il tout joyeux, c’est Jean-Baptiste.

— Jean-Baptiste ?

— Pierre.

— Pierre ? répondait François en écho.

— Cerf-Agile, continua Louis-Joseph.

— Cerf-Agile ?

— Et la Jemmeraye ? demanda Lavérendrye.

— Je ne peux pas voir, père.

Au cri poussé par La Londette, les dormeurs s’étaient réveillés, les assoupis s’étaient levés et tout le monde s’était précipité vers la palissade. L’erreur de La Londette reconnue, on s’empressa d’ouvrir la porte et les plus agiles coururent au-devant des arrivants.

Lavérendrye avait dit à La Londette :

— Va prévenir le père missionnaire. Il dit son bréviaire dans la chapelle.

… Quelques instants après le père tenait ses fils entre ses bras.

— Mes enfants !

— Père.

Puis les frères s’étreignirent les uns les autres.

Pâle-Aurore, Rose-des-Bois, Amiotte, Fleur-d’Aubépine étaient accourus. C’était