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de pierre, magnifiquement assises, et aussi gracieuses qu’elles étaient fortes, assez hautes aussi pour laisser passer facilement le trafic habituel du fleuve. Sur le parapet on voyait de petites constructions élégantes et capricieuses, que je supposai être des baraques et des boutiques, chargées de girouettes et d’aiguilles peintes et dorées. La pierre était patinée par le temps, mais ne montrait pas trace de l’affreuse noirceur que j’étais habitué à voir sur tout monument de Londres vieux de plus d’un an. Bref, pour moi, une merveille de pont.

Le batelier remarqua mon regard curieusement étonné, et dit, comme pour répondre à ma pensée :

— Oui, c’est un joli pont, n’est-ce pas ? Même les ponts d’amont, qui sont bien plus petits, ne sont pas plus gracieux, et ceux d’aval sont à peine plus majestueux et imposants.

Je me trouvai dire, presque malgré moi :

— De quand est-il ?

— Oh, pas très vieux ; il a été construit, ou du moins ouvert, en 2003. Il y avait auparavant un pont de bois assez simple.

Cette date me ferma la bouche, comme une clef tournant dans un cadenas fixé à mes lèvres ; je vis qu’il était arrivé quelque chose d’inexplicable, et que, si je parlais trop, je serais perdu dans une suite confuse de questions et de réponses. Je m’efforçai donc de prendre un air indifférent et de porter mes regards d’une façon très quelconque sur les bords du fleuve, et pourtant voici ce que je voyais jusqu’au pont,