Page:William Morris - Nouvelles de Nulle Part.djvu/160

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— Et les gens s’arrangeaient de cela ?

— Un temps.

— Et ensuite ?

— Ensuite, la culbute, dit le vieillard en souriant, et le dix-neuvième siècle s’est vu lui-même comme un homme qui aurait perdu ses habits étant au bain et qui est obligé d’aller tout nu par la ville.

— Vous êtes bien dur pour ce malheureux dix-neuvième siècle.

— Naturellement, je le connais si bien.

Il se tut un moment, puis il dit :

— Il y a dans notre famille des traditions — des histoires véritables, plutôt — datant de ce siècle : mon grand-père a été une de ses victimes. Si vous êtes un peu au courant, vous comprendrez combien il a souffert, si je vous dis qu’il était, en ce temps-là, un pur artiste, un homme de génie et un révolutionnaire.

— Je crois comprendre, dis-je ; mais maintenant, il semble, vous avez changé tout cela ?

— Oui, plutôt. Les produits que nous fabriquons sont faits parce qu’on en a besoin : les hommes travaillent pour l’usage de leurs voisins, comme ils travailleraient pour eux-mêmes, et non pour un vague marché dont ils ne savent rien et sur lequel ils n’ont aucun contrôle : comme il n’y a ni achat ni vente, ce serait simplement de la folie de fabriquer des produits pour le cas où on en aurait besoin ; car il n’y a plus personne qui puisse être forcé à les acheter. Ainsi, tout ce qui est fabriqué est bon, et absolument propre à son objet. Rien