Page:William Morris - Nouvelles de Nulle Part.djvu/19

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pensez que je vous ai rendu un service ; alors, vous vous sentez obligé de me donner quelque chose, que je ne donnerais à un voisin qu’en échange de quelque chose qu’il ferait pour moi. J’ai entendu parler de ces sortes de choses ; mais excusez-moi de dire que cela nous paraît une coutume ennuyeuse et compliquée ; et nous ne savons pas la pratiquer. Et vous voyez : manœuvrer cette barque et faire baigner les gens, c’est mon emploi, et je le fais pour tout le monde ; recevoir des cadeaux pour cela paraîtrait donc très bizarre. En outre, si quelqu’un me donnait quelque chose, un second devrait aussi le faire, et un autre, et ainsi de suite, et j’espère que vous ne me trouverez pas malhonnête, si je dis que je ne saurais où entasser de si nombreux souvenirs.

Et il rit à pleine voix et joyeusement, comme si l’idée d’être payé pour son travail était une plaisanterie très drôle. J’avoue que je commençai à craindre que l’homme ne fût fou, bien qu’il eût l’air parfaitement sain ; et j’étais heureux de penser que j’étais bon nageur, car nous étions tout près du fleuve profond et rapide. Il continua, nullement comme un fou :

— Quant à vos pièces, elles sont curieuses, mais pas très anciennes ; elles paraissent être toutes du règne de Victoria ; vous devriez les donner à quelque musée peu riche. Le nôtre a assez de ces monnaies, outre bon nombre d’autres plus anciennes, dont beaucoup sont belles, tandis que celles du dix-neuvième siècle sont si stupidement laides, n’est-ce pas ? Nous avons