de la place, je ne m’en doute guère ; je marchais et je ne sentais pas le sol sous mes pieds, absorbé par la fureur, l’effroi et le désespoir. »
Ainsi dit notre témoin oculaire, continua le vieillard. Le nombre des massacrés du côté du peuple, pendant cette fusillade d’une minute, fut énorme : mais il ne fut pas facile de le savoir au juste ; ce fut probablement entre mille et deux mille. Parmi les soldats, six furent tués du coup et une douzaine blessés.
J’écoutais tremblant d’émotion. Les yeux du vieillard brillaient, et sa figure se colorait pendant qu’il racontait ce que j’avais souvent pensé qui pourrait arriver. Pourtant cela m’étonna qu’il se fût tellement exalté à propos d’un pur massacre, et je dis :
— C’est effroyable ! Et je suppose que ce massacre mit fin à toute la révolution pour cette fois-là ?
— Non, non, s’écria le vieil Hammond ; c’en fut le commencement !
Il remplit son verre et le mien, se leva et prononça :
— Buvez ce verre à la mémoire de ceux qui moururent là, car vraiment il faudrait un long discours pour dire combien nous leur devons.
Je bus, il se rassit et continua :
— Ce massacre de Trafalgar-Square commença la guerre civile ; pourtant, comme toujours dans les histoires analogues, le mouvement fut lent, et les gens ne comprirent guère ce qu’était la crise même à laquelle ils prenaient part.