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L’APPEL DU CHIBOUGAMAU

tamment mobile. Franchement, je ne crois pas qu’il possédât des yeux derrière la tête ; pourtant il pouvait discerner ma présence à dix pieds de son dos.

Il parlait de ses occupations avec une franchise brutale : « Je veux ramasser le magot, disait-il, et je suis indifférent envers ceux que j’incite à me suivre. C’est un jeu où le plus finaud l’emporte. Le grand Barnum avait tort de dire qu’il naît un gogo à chaque minute : il en naît un toutes les secondes ! Je suis malhonnête, mais ceux qui m’emboîtent le pas le sont aussi. Alors Quoi ? »

Il calculait vite… trop vite, et se vantait de n’avoir jamais lu un livre. Sa phrase favorite était : « Mes amis lisent pour moi ! » Il ignorait l’histoire, l’ancienne et la moderne, ce qui l’empêchait de se joindre à toute conversation intelligente ; mais avec des personnes de sa classe, c’était un champion. Il pouvait parler durant des heures de chiffres, titres miniers, jeu sur marge, analyses et promotion.

La dernière fois que je le vis, il étudiait la liste des chevaux de course au terrain de Blue Bonnets, à Montréal. Il était perdu dans ses réflexions tout en contemplant les tuyauteurs qui manœuvraient pour la cinquième course.

— Quel est celui qui, d’après vous, tombera sur le gagnant ? demandai-je.

Il était trop absorbé pour me regarder : « J’aime celui qui s’appelle Sansregret », murmura-t-il.

Voilà quelques années, il prit en mains des actions de métal « vil » et les fit grimper rapidement de vingt cents à cinq dollars, après quoi il vendit ses titres. Le stock prit un plongeon piqué. Un courtier trop tenace fit banqueroute et des milliers de joueurs sur marge furent complètement ruinés.

Tandis que ses clients léchaient leurs blessures, tout en se demandant ce qui avait bien pu arriver, le promoteur