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Page:Witkowski, Nass - Le nu au théâtre depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours, 1909.djvu/49

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la mise en scène au xve et au xvie siècles

ployer ce terme pour celles qui incarnaient les naïves héroïnes du Théâtre précornélien ? — chargée, non plus d’un rôle historique, mais d’un rôle imaginatif, fut obligée de paraître en public in naturalibus. Il est à présumer que personne n’y voyait malice, car les spectateurs comme les managers pensaient, non sans raison, qu’on n’a encore rien trouvé de plus beau qu’un beau corps de femme. L’intrigue de ces pièces n’était pas toujours sans intérêt.

Savourez l’analyse d’un petit drame : Le beau mistère de Notre-Dame, à la louange de sa très digne Nativité, d’une jeune fille, laquelle se voulut abandonner à péché pour nourir son père et sa mère, 1548.

La fille de deux miséreux mourant de faim, cherche le moyen de venir en aide à ses parents. Satan lui conseille de profiler de ses charmes et de sa jeunesse :

Trouver ne te faut que ung gros Moine,
Quelque Prélat, quelque Chanoine.

Elle s’offre à un Marchand qui en a pitié et sans abuser d’elle lui donne un signet d’or. Un voleur survient pour lui enlever son honneur et sa pièce d’or ; elle se défend, appelle à son secours ; le misérable, se voyant pris, accuse la jeune fille de lui avoir dérobé un signet d’or pendant son sommeil. On la juge et elle est condamnée à être enterrée vive. Le bourreau creuse sa fosse et la déshabille sur le théâtre.

D’autres fois, la mise en scène exige des accessoires singuliers. Les Clercs de la Basoche jouant le Mystère du Bien advisé et du Mal advisé, avaient sur leur manuscrit cette indication pittoresque :

« Male-Fin, furie infernale, doit avoir de grandes mamelles, comme truye ! »

Enfin, plus tard, à la cour d’Henri iii — cette cour qu’Alexandre Dumas a si inexactement évoquée, — les exhibitions de nu, au cours des fêtes et des spectacles furent fréquentes. On sait qu’aux États de Blois, en 1577, le roi figura dans un ballet[1] « habillé en femme, ouvrant son pourpoint, et découvrant sa gorge, y portant un collier de perles et trois collets de toilles, deux à frange, et un renversé ainsi que le portaient les dames de la cour » (P. de l’Estoile). Le roi inverti n’allait pas jusqu’à imiter Héliogabale, mais épilé, corseté et décolleté, il faisait parade d’une beauté équivoque, ce qui permit à Agrippa d’Aubigné ce distique cruel :

Si qu’au premier abord, chacun étoit en peine
S’il voyoit un roi-femme ou bien un homme-reyne[2].

  1. Le premier ballet exécuté en France fut composé par bal…tasarini ; c’est le grand Ballet de Circé et des Nymphes, représenté au Louvre, devant Catherine de Médicis, en 1581.
  2. Cf. au sujet d’Henri iii, les Névrosés de l’Histoire, par le docteur Lucien Nass.