Page:Wyzewa - Beethoven et Wagner, 1898.djvu/197

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partir on le laissa revenir, quelque temps après. De nouveau Wagner l’entrevit, errant dans la foule. Il pensa sans doute que le pauvre garçon devait être malade ; il lui avait toujours dit que l’excès de travail ne lui valait rien.

Les deux amis se rencontrèrent une fois encore, l’hiver suivant, à Sorrente. Wagner s’y reposait de ses glorieuses fatigues; Nietzsche y était venu se reposer aussi. Mais il y était venu en compagnie d’un juif, le docteur Rée, auteur d’un petit livre de pensées inspiré d’Helvétius, de Stendhal, et des positivistes anglais. Il ne se séparait plus de ce nouvel ami, dont la personne, non plus que les doctrines, ne pouvaient être du goût de Richard Wagner. Aussi les entrevues furent-elles assez froides. On échangea des politesses, mais pas une fois il ne fut question de rien d’essentiel. Wagner vit bien, — et sans doute il le vit alors pour la première fois, — que Nietzsche n’avait plus pour lui son pieux attachement de jadis.

Il le vit plus clairement encore quelques mois plus tard, lorsque Nietzsche, au retour de Sorrente, lui envoya un nouveau livre, un recueil de pensées intitulé : Humain, trop humain, où il reniait ouvertement ses anciennes croyances, proclamant avec une verve frénétique la vanité de tout idéal, la lâcheté de la compassion, la