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Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/205

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RENAN ET TAINE

ouvrages qu’on a publiés sur lui, c’est un autre Napoléon qu’on nous a montré. Mais pourvu qu’on nous parle de lui, nous sommes prêts à tout entendre : car ce que nous aimons en lui, ce n’est point lui-même, c’est seulement notre besoin d’aimer.

Voici, par exemple, trois livres sur Napoléon, tous trois récents, tous trois fort remarquables, et ayant de pleins droits à notre confiance : le Régime Moderne de M. Taine, Napoléon intime de M. Arthur Lévy, Napoléon et les Femmes de M. Frédéric Masson. Je les ai lus d’une seule traite, l’un après l’autre : et, si j’avais eu d’avance quelques idées sur le vrai caractère de Napoléon Ier, cette lecture aurait suffi pour me les brouiller à jamais.


D’abord, le Napoléon de M. Taine. C’est un aventurier italien, un rival de Castruccio Castracani attardé parmi la société française de la fin du xviiie siècle. La civilisation moderne n’a point de prise sur lui. Il ne connaît aucun de nos sentiments, ni la modération des désirs, ni le respect de la justice, ni, à défaut de charité, l’égard pour autrui. Amené au pouvoir par une série de chances d’heureux joueur, et par la force d’une ambition sans scrupules, jusqu’au bout il ne voit dans l’univers que lui seul. Son monstrueux égoïsme va toujours s’épanouissant, sur les ruines de l’ancien monde qu’il achève de détruire. Imaginez un brigand qui se serait, par surprise, emparé d’une maison : la place bien à lui,