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Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/206

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NOS MAÎTRES

il ne s’occupe que de la fortifier pour y être à couvert des gendarmes ; il mure les fenêtres, il creuse des fossés devant les portes, il empile les meubles en manière de barricades, il enferme les domestiques dans des chambres séparées, de peur d’une révolte contre lui. Telle serait, d’après M. Taine, l’histoire du règne de Napoléon Ier.

Et imaginez maintenant que les gendarmes, après avoir arrêté le brigand, aient laissé la maison dans l’état où il l’avait mise. Les nouveaux habitants ne peuvent manquer de s’y trouver mal à l’aise ; dans cette forteresse improvisée, ils étouffent et dépérissent ; les fenêtres murées interceptent l’air du dehors, et comme tous les meubles restent empilés les uns sur les autres, on n’a point de chaises pour s’asseoir, ni de table pour manger. Tel serait, d’après M. Taine, notre régime moderne. Napoléon l’a créé pour son usage personnel : désormais son mécanisme ne profite plus à personne ; mais, en attendant qu’on se décide à le modifier, il n’y a désormais personne qui n’en souffre.

C’est là un amusant paradoxe, qui aurait pu faire la matière d’une jolie chronique de journal. M. Taine en a fait la matière de deux énormes volumes in-octavo, sans compter les autres volumes qu’il rêvait d’y joindre quand la mort est venue l’arrêter. Mais les lecteurs de son livre ne se plaindront pas de cet excès de longueur : car jamais encore auparavant il n’était arrivé à M. Taine de construire avec tant d’art ces vastes appareils logiques, ces monuments de dialectique, oii son haut et noble esprit s’est de tout temps occupé. Si Na-