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Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/215

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RENAN ET TAINE

des accents plus tendres et plus doux ; mais voici qu’à peine un souvenir nous reste de ce qu’ils nous ont dit, et ces deux-là sont les seuls que nous continuions à entendre. Je les comparerais encore à deux grands arbres, dans un jardin où il y a en outre toutes sortes de jolies fleurs et d’arbustes de prix. Nous avons grandi, appris, rêvé sous leur ombre, et maintenant de tout le beau jardin nous ne nous rappelons qu’eux seuls. Nous les revoyons de même âge, de même grandeur, malgré la différence de leurs formes ; et depuis qu’on les a abattus le jardin nous semble désert ; et tous deux nous ont donné tant d’abri que nous aurions peine à savoir désormais lequel des deux nous en a donné davantage.

Ainsi pour nous, qui sommes déjà leur postérité, M. Renan et M. Taine ont vécu, ainsi ils sont morts ensemble. Mais ils ne sont pas morts également : je veux dire que l’un d’eux, M. Renan, est mort tout à fait, pour toujours, sans espoir de résurrection, tandis qu’il ne serait pas impossible qu’un jour ou l’autre nous voyions M. Taine ressusciter parmi nous. Car M. Renan était un poète : ce n’est point par sa science ni par son intelligence, ce n’est pas même par sa plaisanterie qu’il nous a le plus profondément touchés, mais par ce pouvoir qu’il avait, mystérieux et surnaturel, de donner à ses simples phrases une musique, des ailes, un parfum. Et des siècles passeront avant que l’on entende de nouveau la gentille chanson qu’il portait en lui. M. Taine, au contraire, n’était pas un poète, ce n’était pas non plus un savant, ni un penseur ; à peine si