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Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/258

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NOS MAÎTRES


Il n’en est pas moins vrai que la publication d’un recueil de ce genre constitue un nouveau témoignage de l’importance attribuée aujourd’hui à la critique, dans notre littérature. Non seulement la critique a le droit de parler, et de dire sur toute chose le dernier mot, mais il n’y a plus que sa voix que l’on aime d’entendre. Et je ne puis m’accoutumer, je l’avoue, à n’en pas ressentir quelque peine. Il m’en coûte de voir la critique se substituer peu à peu aux autres genres littéraires, attirant à elle tout ce qu’apportent de talent et de goût les jeunes générations. Et si la critique ne doit être, suivant la définition de M. Hatzfeld, « qu’un jugement porté sur une œuvre d’art », il m’est assez difficile d’en comprendre l’utilité. Car il me semble que les œuvres d’art ne sont point faites pour être jugées, mais pour être aimées, pour plaire, pour distraire des soucis de la vie réelle. C’est précisément à force de vouloir les juger qu’on perd de vue leur signification véritable : et je ne sais rien qui empêche de jouir librement d’une œuvre d’art comme d’être tenu à en rendre compte. Dans l’humanité idéale telle que je la rêve, la critique ainsi entendue n’aurait point de place ; aucun intermédiaire ne pourrait, sous prétexte déjuger les œuvres d’art, détourner d’elles à son profit l’attention du public.

Mais je craindrais de scandaliser mes lecteurs en insistant plus à fond sur l’inutilité de la critique.