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Page:Wyzewa - Nos maîtres, 1895.djvu/369

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EN MATIÈRE D’ÉPILOGUE

ner un destin plus misérable. Car. tout occupé toujours à se mettre des faits dans la tête, le savant avait négligé de compatir et d’aimer ; de sorte qu’à cette heure il était seul, seul avec un des plus fameux produits de sa fameuse science, un grand médecin qui connaissait au juste le nom de sa maladie, et qui lui décrivait d’avance les tourments qu’il aurait encore à subir, avant d’offrir aux vers de terre sa précieuse collection de faits.

Ce fat ensuite l’avenir d’Adolphe, le prix d’anglais, qui se déroula devant notre cher Albert. Adolphe aussi avait l’air content de soi. Il pouvait parler maintenant dans toutes les langues de la terre ; mais il n’avait rien à y dire, ayant, comme Édouard, peu à peu perdu, à force d’apprendre, l’habitude de penser. Il connaissait tous les pays, mais il les connaissait en étranger, de loin : et son pays aussi il ne le connaissait qu’en étranger. Toutes ses sensations étaient devenues ternes et vagues, faute d’être solidement liées à des mots précis. Et, malgré son apparence satisfaite, il était malheureux. Il s’estimait pour la connaissance qu’il avait des pays étrangers, mais en même temps il se désolait d’être de son pays. Et toujours il avait besoin de changer de place, toujours le souvenir de meilleures choses connues ailleurs l’empêchait de prendre un entier plaisir aux choses qu’il avait sous la main. N’ayant plus ni un pays à lui, ni une langue à lui, ni une pensée à lui, il était devenu un néant : mais il en souffrait, et il souffrait aussi de