Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/110

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de bon sens oserait se mêler à ton bruyant cortége ? Ceux qui te suivent, s’ils sont jeunes, ont un corps impuissant ; vieux, une âme abrutie ; alourdis, durant leur jeunesse, par un embonpoint fruit de l’oisiveté, ils sont amaigris par une vieillesse laborieuse ; rougissant de ce qu’ils ont fait, accablés de ce qu’ils ont à faire, ils ont volé de plaisirs en plaisirs dans le premier âge, et se sont réservé les peines pour la fin de leur vie. Moi, au contraire, je suis avec les dieux ; je suis avec les gens de bien : nulle belle action ne se fait sans moi chez les dieux, ni chez les hommes ; plus que personne, je reçois des dieux et des hommes de légitimes honneurs, compagne chérie du travail de l’artisan, gardienne fidèle de la maison du maître, protectrice bienveillante du serviteur, aimable associée dans les travaux de la paix, alliée constante dans les fatigues de la guerre, intermédiaire dévouée de l’amitié. Mes amis jouissent avec plaisir et sans apprêt des aliments et des boissons, car ils attendent le désir pour manger et pour boire. Le sommeil leur est plus agréable qu’aux oisifs ; ils l’interrompent sans chagrin, et ne lui sacrifient point leurs affaires. Les jeunes gens sont heureux des éloges des vieillards, et les vieillards reçoivent avec bonheur les respects de la jeunesse ; ils aiment à se rappeler leurs actions passées, et ils trouvent du charme à celles qu’ils doivent accomplir aujourd’hui ; par moi, ils sont aimés des dieux, chers à leurs amis, honorés de leur patrie. Quand est venue l’heure fatale, ils ne se couchent pas dans un oubli sans honneur ; mais leur mémoire fleurit célébrée d’âge en âge. Voilà comment, Hercule, fils de parents vertueux, tu peux en travaillant acquérir le suprême bonheur.

« C’est à peu près ainsi que Prodicus raconte la leçon donnée à Hercule par la Vertu ; mais il ornait ses pensées d’une expression plus relevée que je ne le fais en ce moment. Songes-y donc bien, Aristippe, et fais quelques efforts pour régler la conduite que tu dois tenir pendant le reste de ta vie. »