Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/113

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du mal, ils endurent facilement ce qu’on leur dit. — Et toi, qui sais bien que ta mère, quoi qu’elle te dise, le dit sans songer à mal, mais qu’elle voudrait te voir aussi heureux que personne, tu t’irrites contre elle ? Crois-tu donc que ta mère soit pour toi une ennemie ? — Non, certes, je ne le crois point. » Alors Socrate : « Eh bien, cette mère qui t’aime, qui prend de toi tous les soins possibles quand tu es malade, afin de te ramener à la santé et que rien ne te manque, qui, en outre, prie les dieux de te prodiguer leurs bienfaits et s’acquitte des vœux qu’elle a faits pour toi, tu te plains de son humeur ? Pour moi, je pense que, si tu ne peux supporter une telle mère, tu ne peux supporter rien de bon.

« Mais, dis-moi, crois-tu qu’il faille avoir des égards pour quelqu’un, ou ne chercher à plaire à personne, n’obéir à personne, ni à un stratége, ni à n’importe quel magistrat ? — Oui, par Jupiter, il faut obéir. — Eh bien, dit Socrate, tu veux sans doute plaire à ton voisin, afin qu’il t’allume ton feu au besoin, qu’il te rende quelques bons offices, et qu’en cas d’accident il te porte volontiers de prompts secours ? — Sans doute. — Eh quoi ! un compagnon de voyage, de navigation, ou tout autre, est-il indifférent pour toi de l’avoir pour ami ou pour ennemi, ou bien crois-tu qu’on doive se donner la peine de gagner sa bienveillance ? — Oui, vraiment. — Quoi donc ? tu es prêt à avoir des attentions pour tous ces étrangers, et ta mère, qui te chérit plus que personne ne t’aime, tu ne crois pas lui devoir des égards ? Ne sais-tu pas que l’État n’a point souci de toutes les autres ingratitudes, qu’il ne les poursuit point, et qu’il laisse en paix les obligés qui ne témoignent pas de reconnaissance, tandis que celui qui ne respecte pas ses parents, il le frappe d’un châtiment, d’une déchéance, et l’exclut des magistratures[1], persuadé que les sacrifices publics ne sauraient être saintement offerts par un pareil sacrificateur, et qu’il n’y a pas d’action belle et honnête qui puisse être faite par un tel homme ? Et, par Jupiter, si un citoyen n’a pas honoré la tombe de ses parents qui ne sont plus, l’État lui en demande compte dans les enquêtes ouvertes sur les futurs magistrats. Toi donc, mon fils, si tu es sage, tu prieras les dieux de te pardonner tes offenses envers ta mère, dans la crainte qu’ils ne te regardent comme un ingrat et ne te refu-

  1. Une loi de Solon autorisait les poursuites non-seulement contre les outrages directs faits aux parents, mais aussi contre l’ingratitude et le manque de soin de leurs enfants.