Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/116

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affaires, que ferais-tu ? — Évidemment, j’essayerais à m’occuper le premier des siennes, quand il ferait un voyage. — Et si tu voulais disposer un étranger à te recevoir, lorsque tu irais dans sa ville, que ferais-tu ? — Évidemment je serais le premier à le recevoir quand il viendrait à Athènes ; et, si je désirais qu’il m’aidât à terminer les affaires pour lesquelles je serais venu, évidemment je serais le premier à faire pour lui la même chose. — Ainsi tu connais tous les philtres qui sont au pouvoir des hommes, et tu en faisais mystère depuis longtemps. Craindrais-tu donc de te déshonorer, si tu prévenais ton frère par de bons traitements ? Cependant on regarde comme un homme digne de tous éloges celui qui sait le premier nuire à ses ennemis et servir ses amis. Si Chéréphon m’avait paru plus prompt que toi à donner l’exemple de ces bonnes dispositions, j’aurais essayé de l’amener à faire les premiers pas pour gagner ton amitié ; mais maintenant il me semble que tu serais plus capable de commencer cette œuvre. » Alors Chérécrate : « En vérité, Socrate, dit-il, tu tiens des discours étranges ; tu dis des choses qui ne sont pas dignes de toi ; tu veux que moi, qui suis le plus jeune, je fasse les premières démarches : cependant, chez tous les hommes, c’est le contraire qui a force de loi ; l’aîné passe le premier en tout, soit pour l’action, soit pour la parole. — Comment, dit Socrate, n’est-ce pas le plus jeune qui doit, selon l’usage établi partout, céder le pas à l’aîné lorsqu’il le rencontre, se lever de son siége, lui faire les honneurs d’un lit de repos moelleux, lui laisser la parole[1] ? N’hésite pas, mon bon ; essaye d’adoucir ton frère, et bientôt il se rendra complétement. Ne vois-tu pas comme il est noble et généreux ? Les petites âmes ne se laissent prendre qu’à force de présents ; mais les hommes bons et vertueux, c’est, avant tout, par des marques d’amitié qu’on se les attache. » Alors Chérécrate : « Mais si, malgré ce que je fais, il ne devient pas meilleur pour moi ? — Que risques-tu donc, reprit Socrate, sinon de faire voir que tu es un honnête homme et un bon frère, tandis qu’il est vil et indigne de bienveillance ? Mais je ne pense pas qu’il arrive rien de tel ; je crois que, dès qu’il se sentira provoqué à cette lutte, il rivalisera avec toi pour te surpasser en bonnes paroles et en bons procédés. Maintenant, en effet, vous êtes dans la situation où se

  1. Pour ces marques de déférence accordées à l’âge, cf. Cyropédie, VIII, vii, Hiéron, VII, et comparez avec Homère, Iliad., IX, v. 618 ; Odyssée, XXIV, v. 254 ; Aristophane, Nuées, v. 981.