Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/115

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des frères que ceux qui n’en ont point, et ils osent moins s’attaquer à eux. » Alors Chérécrate : « Certes, Socrate, dit-il, si le désaccord était léger, il serait juste de supporter son frère et de ne pas s’éloigner de lui pour de faibles motifs : car c’est, comme tu le dis, un grand bien qu’un frère, lorsqu’il est tel qu’il doit être ; mais quand il s’en faut du tout au tout, quand on trouve en lui absolument le contraire, le moyen de tenter l’impossible ? » Alors Socrate : « Voyons, Chérécrate, dit-il, Chéréphon déplaît-il à tout le monde comme il te déplaît, ou bien y a-t-il des personnes auxquelles il agrée ? — C’est précisément pour cela, Socrate, que j’ai raison de le haïr : il sait plaire aux autres ; mais moi, partout où il se trouve, il me nuit par ses actions et ses paroles, au lieu de m’être utile. — Ne se peut-il pas, reprit Socrate, que, semblable à un cheval qui fait mal au cavalier inhabile qui essaye d’en user, un frère fasse mal à un frère inhabile qui essaye d’en user ? — Comment moi, repartit Chérécrate, ne saurais-je point user de mon frère, quand je sais répondre à de bonnes paroles par de bonnes paroles, à de bons offices par de bons offices ? Cependant si quelqu’un essaye de me chagriner par ses paroles et par ses actions, je ne saurais lui dire une bonne parole, ni lui rendre un bon office ; je n’essayerai même pas. » Alors Socrate : « Tes discours sont étranges, Chérécrate. Si tu avais un chien qui gardât bien tes troupeaux et caressât tes bergers, mais qui grondât à ton approche, au lieu de te mettre en colère, tu essayerais de l’adoucir par de bons traitements ; et ton frère, que tu avoues être un grand bien dès lors qu’il est disposé pour toi comme il doit l’être, toi qui te prétends un homme capable de bien dire et de bien agir, tu n’essayes pas de mettre tout en œuvre pour te concilier son affection ? » Alors Chérécrate : « Je crains, Socrate, dit-il, de ne pas avoir assez de sagesse pour rendre Chéréphon tel qu’il doit être envers moi. — Mais cependant, dit Socrate, il me semble que tu n’as pas besoin d’employer des artifices nombreux et extraordinaires ; il suffit de ce que tu sais pour le gagner et te valoir son estime. — Pourquoi ne t’empresses-tu pas de me dire si tu me connais pour cela quelque philtre, dont je ne me sais point en possession ? — Dis-moi, si tu voulais amener quelqu’un de ta connaissance, offrant un sacrifice, à t’inviter à dîner, que ferais-tu ? — Évidemment, je commencerais par l’inviter moi-même, lorsque je sacrifierais. — Et si tu voulais engager un de tes amis, lorsque tu ferais un voyage, à s’occuper de tes