Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/156

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chaudronniers, des laboureurs, des marchands, des brocanteurs de place publique, des gens qui cherchent à vendre cher ce qu’ils ont acheté à vil prix, que tu te sens timide ? Car voilà de quoi se compose l’assemblée du peuple. En quoi donc crois-tu que ta conduite diffère de celle d’un homme qui, supérieur aux artistes, aurait peur des ignorants ? N’est-il pas vrai qu’en dépit de ta facilité à t’exprimer devant les plus illustres citoyens, dont quelques-uns pourtant te dédaignent, et de ta supériorité manifeste sur ceux qui essayent de parler en public, tu hésites à prendre la parole devant une multitude qui ne s’est jamais occupée des affaires et qui n’a pour toi aucun dédain, dans la crainte qu’elle ne te tourne en ridicule ? — Eh quoi ! ne vois-tu pas, Socrate, que souvent dans les assemblées on se moque de ceux qui parlent bien ? — Mais les autres[1] en font autant : aussi je t’admire, toi qui sais si bien les empaumer, quand ils te traitent de la sorte, de croire que tu ne saurais te mesurer avec la foule. Ne t’ignore pas toi-même, mon bon ; ne commets pas la faute que commettent la plupart des hommes : presque tous ont sans cesse l’œil sur les actions des autres, et ne se tournent point à l’examen des leurs ; défends-toi d’une pareille indolence, mais concentre tous tes efforts sur toi ; ne néglige pas l’État, s’il peut gagner quelque chose par tes soins. Grâce à la prospérité des affaires, ce n’est pas seulement aux autres citoyens, mais c’est à tes amis et à toi-même que tu auras rendu un immense service. »


CHAPITRE VIII.


Discussion avec Aristippe sur le bien et sur le beau.


Aristippe[2] essayait de confondre Socrate, comme celui-ci l’avait lui-même confondu naguère ; mais Socrate, voulant rendre service à ses disciples, ne répondit point en homme qui se tient sur ses gardes, et qui craint qu’on n’intervertisse ses paroles, mais comme un homme fortement convaincu qu’il remplit ses devoirs. Aristippe lui demanda s’il connaissait

  1. Les citoyens illustres.
  2. Fondateur de l’école cyrénaïque, dont il a été question plus haut, livre II, chapitre i.