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Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/184

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grand roi et sont devenus ses esclaves ? — Il y a grande apparence, Socrate, que l’on peut établir sans équivoque que le bonheur est un bien. — Oui, Euthydème, à moins qu’on ne le fasse consister dans des biens équivoques. — Et que peut-il y avoir d’équivoque dans ce qui fait le bonheur ? — Rien, pourvu que nous n’y ajoutions pas la beauté, la force, la richesse, la gloire, ou toute autre chose de même nature. — Mais, par Jupiter, nous y ajoutons tout cela : car comment, sans ces biens, peut-on être heureux ? — Par Jupiter, nous y joindrons alors nombre d’avantages qui sont funestes à l’humanité. Ainsi beaucoup d’hommes, à cause de leur beauté, sont souillés par d’infâmes séducteurs de la jeunesse ; beaucoup, en raison de leur force, entreprennent des travaux excessifs et tombent dans des maux immenses ; d’autres sont victimes de la richesse qui les amollit et les expose à des piéges où ils trouvent leur perte ; d’autres, enfin, n’arrivent à la gloire et au pouvoir que pour subir d’affreux malheurs. — Eh bien ! alors, si j’ai tort de louer le bonheur, il faut avouer que je ne sais plus ce qu’il faut demander aux dieux. — Peut-être, dit Socrate, n’as-tu pas réfléchi à tout cela, parce que tu étais tout à fait convaincu de le bien savoir, mais puisque tu te disposes à gouverner un État démocratique, il est clair que tu sais ce que c’est qu’une démocratie. — Parfaitement. — Crois-tu que l’on puisse connaître la démocratie sans connaître le peuple ? — Non, par Jupiter ! — Et qu’appelles-tu le peuple ? — Les citoyens pauvres. — Tu connais donc les citoyens pauvres ? — Comment ne les connaîtrais-je pas ? — Et connais-tu aussi les riches ? — Tout aussi bien que les pauvres. — Quels sont donc ceux que tu appelles pauvres, et quels riches ? — Ceux, à mon avis, qui n’ont pas de quoi payer les impôts, sont pauvres, et ceux qui ont plus que de quoi payer, sont riches. — As-tu remarqué que certains, qui n’ont que fort peu, ont pourtant ce qui suffit, et font même des économies, tandis que d’autres qui ont beaucoup n’ont pas ce qui suffit ? — Oui, et par Jupiter, reprit Euthydème, car tu fais bien de me le rappeler, je connais aussi des tyrans que le besoin pousse à l’injustice, comme les plus pauvres des citoyens. — Ne ferons-nous pas bien alors, s’il en est ainsi, de ranger les tyrans parmi le peuple, et de mettre dans la classe des riches ceux qui ont peu et qui économisent ? » Alors Euthydème : « Je suis forcé d’en convenir, attendu mon ignorance, et je pense qu’il vaut mieux me taire ; car je cours risque de ne savoir absolument rien ! »