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Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/188

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et commune, nous établissons des lois, nous fondons des États ? — Il semble, Socrate, que les dieux veillent sur l’homme avec le plus grand soin. — Et quand nous ne pouvons prévoir ce qui nous sera utile dans l’avenir, ne viennent-ils pas encore ici à notre secours, ne révèlent-ils pas par la divination à ceux qui les consultent, ce qui doit arriver un jour, et ne leur enseignent-ils pas l’issue la plus heureuse des événements ? — Mais toi, Socrate, ils ont l’air de te traiter avec encore plus de bonté que les autres hommes, s’il est vrai que, sans être interrogés par toi, ils t’indiquent d’avance ce que tu dois faire ou non[1]. — La vérité de mes paroles, tu la reconnaîtras toi-même, si tu n’attends pas que les dieux se montrent à toi sous une forme réelle, mais si tu te contentes de voir leurs ouvrages pour les révérer et les honorer. Songes-y bien ; c’est ainsi que les dieux se manifestent. Les autres dieux[2], de qui nous recevons les biens, n’apparaissent pas à nos yeux pour répandre leurs bienfaits, et celui qui dispose et régit l’univers, où se réunissent toutes les beautés et tous les biens, qui, pour notre usage, maintient à l’univers une durée, une vigueur et une jeunesse éternelles, qui le force à une obéissance infaillible et plus prompte que la pensée, ce dieu se manifeste dans l’accomplissement de ses œuvres les plus sublimes, tandis qu’il reste inaperçu dans le gouvernement du reste[3]. Songe en outre que le soleil, qui frappe tous les yeux, ne permet point aux hommes de le considérer attentivement, et que, quand on a l’audace d’attacher sur lui ses regards, il enlève la vue.[4]. Tu verras encore que les ministres des dieux sont invisibles : la foudre est lancée du haut du ciel, c’est évident, et elle brise tout ce qu’elle rencontre ; mais on ne peut la voir, ni quand elle tombe, ni quand elle frappe, ni quand elle se retire. Les vents aussi ne sont pas visibles, mais nous voyons leurs effets, nous sen-

  1. Allusion au démon de Socrate, dont il a été question dans le Ier chapitre du livre Ier Qu’était-ce, du reste, que ce démon ou génie familier de Socrate, cette voix céleste, cette parole divine qu’entendait le philosophe, sinon une suggestion de la conscience, une révélation instinctive de la raison ? — Cf. Cicéron, De la divination, I, liv.
  2. Presque tous les grands esprits de l’antiquité ont admis des divinités subalternes dépendantes du dieu suprême et servant parfois d’intermédiaire entre lui et les hommes. Voy. Platon, Apologie de Socrate, xv.
  3. Ce n’est pas qu’il ne gouverne point le reste, mais son action y est moins apparente. Telle est, je crois, la pensée de Xénophon.
  4. Les anciens étaient disposés à considérer le soleil, les astres et les grands agents des phénomènes météorologiques comme des manifestations non-seulement de la puissance, mais de la volonté immédiate du Créateur.