Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/190

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soit à la ville, soit dans les armées, où il se faisait remarquer par sa soumission à la discipline. Présidant, en qualité d’épistate[1], les assemblées du peuple, il ne lui permit pas de voter contre les lois, mais, d’accord avec elles, il résista à la fougue populaire, qu’aucun autre, excepté lui, n’aurait osé braver. Lorsque les Trente lui donnèrent des ordres contraires aux lois, il ne leur obéit pas ; ils lui défendirent de s’entretenir avec les jeunes gens, et lui enjoignirent, en même temps qu’à d’autres citoyens, d’amener un homme[2] qu’ils voulaient faire périr ; seul il refusa d’obéir, parce que ces ordres étaient illégaux. Appelé devant les tribunaux par Mélétus[3], loin de suivre la coutume des accusés, qui prennent la parole pour gagner la faveur des juges, qui flattent et prient malgré la défense des lois, et se font souvent absoudre par de tels moyens[4], il ne voulut pas blesser les lois en agissant ainsi dans les tribunaux, et, lorsqu’il lui eût été facile de se faire renvoyer par les juges, en faisant le moindre effort, il aima mieux mourir en respectant la loi que vivre en cessant de l’observer. Il tint plus d’une fois ce langage à différentes personnes, et je me rappelle la conversation qu’il eut sur la justice avec Hippias d’Élée[5]. Hippias, de retour à Athènes après une longue absence, rencontra So-

  1. Socrate, présidant l’assemblée du peuple en qualité d'épistate, lorsqu’on mit en jugement les généraux vainqueurs aux îles Arginuses, refusa de commettre une illégalité en mettant aux voix par un seul scrutin la condamnation de plusieurs personnes. Euryptolème, qui s’était constitué le défenseur courageux des accusés, avait demandé qu’on allât aux voix sur chacun d’eux en particulier. Cette mesure les eût sauvés ; mais elle fut repoussée, malgré les efforts de Socrate. Cf. Platon, Apolog., chap. xx.
  2. Léon de Salamine. Voy. Helléniques, II, iii. Libanius raconte le même fait dans son Apologie de Socrate.
  3. Mélétus ou Mélitus, Thrace d’origine, qui déposa entre les mains de l’archonte-roi l’accusation formulée contre Socrate, était auteur d’une mauvaise tragédie intitulée Œdipe, qui lui fit donner par dérision le surnom de fils de Laïus. Socrate s’était assez moqué des poètes pour encourir la haine de Mélétus. Au grief d’amour-propre s’ajouta peut-être un différend politique. Parmi les quatre citoyens chargés d’aller arrêter Léon de Salamine, entreprise à laquelle Socrate refusa de s’associer, il y en avait un nommé Mélétus, que l’on croit avoir été l’accusateur de Socrate.
  4. À Athènes, comme plus tard à Rome, les accusés, pour exciter la compassion du tribunal, se revêtaient d’habits de deuil et présentaient aux juges leurs femmes et leurs enfants. Socrate trouvait que ces scènes pitoyables étaient ridicules, humiliantes pour l’accusé et pour la république. Cf. Platon, Apologie, xxiii ; Xénophon, Apolog., 4 ; Quintilien, VI, i.
  5. Hippias d’Élée, célèbre sophiste, contemporain de Socrate, a donné son nom à deux dialogues, où Platon se moque de sa vaine science et de son orgueil. Il fut celui des sophistes qui gagna le plus d’argent. Il se vantait de tout savoir. Voy. Quintilien, XII, xi. Cf. Apulée, Florides, ix.