Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/194

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je ne crois pas avoir d’opinion contraire à ce que tu viens de dire sur la justice. — Connais-tu, Hippias, reprit Socrate, des lois qui ne sont pas écrites[1] ? — Oui, celles qui sont les mêmes dans tous les pays et qui ont le même objet. — Pourrais-tu dire que ce sont les hommes qui les ont établies ? — Comment cela serait-il, puisqu’ils n’ont pu se réunir tous et qu’ils ne parlent pas la même langue ? — Qui donc, à ton avis, a établi ces lois ? — Moi, je crois que ce sont les dieux qui les ont inspirées aux hommes ; car chez tous les hommes la première loi est de respecter les dieux. — Le respect des parents n’est-il pas aussi une loi universelle ? — Sans doute. — Et les mêmes lois ne défendent-elles pas la promiscuité des parents avec les enfants et des enfants avec les parents ? — Pour cette loi, Socrate, je ne la crois pas émanée d’un dieu. — Pourquoi donc ? — Parce que j’en vois certains qui la transgressent. — On en transgresse bien d’autres ; mais ceux qui violent les lois établies par les dieux subissent un châtiment auquel il est impossible à l’homme de se soustraire, tandis que ceux qui foulent aux pieds les lois humaines échappent quelquefois à la peine, soit en se cachant, soit en employant la violence. — Et quelle est donc la punition que ne peuvent éluder les parents qui vivent en promiscuité avec leurs enfants, les enfants qui vivent avec leurs parents ? — La plus grande de toutes, par

  1. Sur ces lois non écrites, mais vivant au cœur de tous les hommes, voyez un beau passage de Sophocle, Antigone, v. 450 et suivants. Cf. Cicéron, De legibus, II : « Est enim ratio profecta a rerum natura et ad recte faciendum impellens et a delicto avocans ; quæ non tum denique incipit lex esse, quum scripta est, sed tum, quum orta est. Orta autem simul est te cum mente divina. Quamobrem lex vera atque princeps, apta ad jubendum et ad vetandum, ratio est recta summi Jovis. » Idées que le grand orateur a développées avec une énergie plus remarquable encore dans ce passage de la République, livre III, écho sublime de la loi naturelle, inscrite dans l’âme de tous les hommes depuis l’origine des temps, sanctionnée et complétée par la révélation évangélique : « Est quidem vera lex, recta ratio, naturæ congruens, diffusa in omnes, constans, sempiterna, quæ vocet ad te officium jubendo, vetando a fraude deterreat : quæ tamen neque probos frustra jubet aut vetat, nec improbos jubendo aut vetando movet. Huic legi nec abrogari fas est, neque derogari ex hac aliquid licet, neque tota abrogari potest ; nec vero aut per senatum, aut per populum solvi hac lege possumus ; neque est quærendus explanator aut interpres ejus alius ; nec te erit alia lex Romæ, alia Athenis ; alia nunc, alia posthac : sed et omnes gentes et omni tempore una lex, et sempiterna, et immutabilis continebit : unusque erit communis quasi magister et imperator omnium Deus, ille legis hujus inventor, disceptator, lator ; cui qui non parebit, ipse se fugiet, ac naturam hominis aspernatus, hoc ipso luet maximas pœnas, etiam si cetera supplicia, quæ putantur, effugerit. »