Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/212

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CHAPITRE II.


Socrate démontre, en raillant, à Critobule qu’il est pauvre dans sa richesse, et que lui, Socrate, est riche dans sa pauvreté. Critobule le prie de lui enseigner l’art d’augmenter sa fortune. Socrate répond qu’il ne le connaît pas, mais qu’il lui désignera ceux auprès desquels il peut l’apprendre.


À cela Critobule répondit à peu près ainsi : « Je crois sur tout cela comprendre à merveille ce que je viens de l’entendre dire ; et, quand je m’examine moi-même, il me semble que pour ce qui est de cet esclavage, je suis suffisamment maître de moi ; en sorte que, si tu veux me conseiller ce que j’ai à faire pour augmenter ma maison, je ne pense pas trouver d’obstacles dans ce que tu appelles des maîtresses. Donne-moi donc, en toute confiance, ce que tu as de bons conseils. Crois-tu donc, Socrate, que nous sommes assez riches, et te semble-t-il que nous n’avons plus besoin d’acquérir ? — Si c’est de moi que tu parles, dit Socrate, je ne crois plus avoir besoin d’acquérir, et je me trouve assez riche. Mais toi, Critobule, tu m’as l’air tout à fait pauvre, et, par Jupiter, il y a des instants où j’ai réellement pitié de toi. » Alors Critobule se mettant à rire : « Eh mais, au nom des dieux, quelle somme crois-tu donc, Socrate, que l’on trouverait eu vendant tous mes biens, et quelle en vendant les tiens ? — Moi, je crois, dit Socrate, que, si je tombais sur un bon acquéreur, je trouverais de ma maison et de tous mes biens très-facilement cinq mines[1] ; quant à toi, je sais positivement que tu trouverais de tes biens plus de cent fois la même somme. — Comment ! tu sais cela, et tu crois n’avoir besoin de rien acquérir, et tu as pitié de ma pauvreté ? — Oui, car ce que j’ai suffit à me procurer le nécessaire, tandis que toi, vu le train qui t’environne, et pour soutenir ta réputation, eusses-tu le triple de ce que tu possèdes à présent, il me semble que tu n’aurais point assez. — Pourquoi cela ? dit Critobule. — Parce que d’abord, dit Socrate en s’expliquant, je te vois obligé à de grands et nombreux sacrifices ; autrement ni les dieux ni les hommes ne te seraient favo-

  1. Moins de 500 francs. Cf. Platon, Αpologie de Socrate, chap. xi, et Xénophon, Mém., I, ii.