Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/213

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rables. Ensuite ton rang t’impose la nécessité de recevoir beaucoup d’hôtes, et de les traiter magnifiquement : tu dois donner à dîner à tes concitoyens et leur rendre de bons offices, sous peine d’être sans partisans.

« Ce n’est pas tout : je sais qu’à présent même la ville t’impose de grandes contributions, entretien de chevaux, chorégies, fonctions de gymnasiarque et de prostate[1] ; en cas de guerre, on te nommera triérarque, et l’on te chargera d’impôts et de contributions si fortes qu’il ne te sera pas aisé d’y faire honneur ; et si tu ne fournis pas à tout noblement, je sais que les Athéniens te puniront avec la même rigueur que s’ils te prenaient à voler leurs biens. En outre, je vois que, te croyant riche, tu négliges les moyens de faire fortune, et que tu t’occupes d’enfantillages, comme si cela t’était permis. Voilà pourquoi j’ai pitié de toi ; je crains qu’il ne t’arrive quelque malheur irréparable et que tu ne tombes dans une extrême indigence. Quant à moi, s’il me manquait quelque chose, je sais, et tu ne l’ignores pas toi-même, qu’il y a telles personnes qui, même en me donnant peu, verseraient l’abondance dans mon humble maison ; tes amis, au contraire, qui ont plus de ressources pour soutenir leur état que tu n’en as pour le tien, ne songent qu’à tirer parti de toi. »

Alors Critobule : « À cela, Socrate, dit-il, je n’ai rien à répliquer ; mais il est temps que tu arrives à mon aide, afin que je ne devienne pas réellement un objet de pitié. » En entendant ces mots, Socrate repartit : « Est-ce que tu ne trouves pas étrange, Critobule, ton procédé envers toi-même ? Il n’y a qu’un instant, quand je te disais que j’étais riche, tu t’es mis à rire comme si je ne savais pas ce qu’il en est ; tu as tenu bon jusqu’à ce que tu m’eusses convaincu et fait avouer que ma fortune n’est pas la centième partie de la tienne ; et maintenant tu veux que je te protége et que mes soins t’empêchent de tomber dans une véritable et complète pauvreté. — C’est que je te vois, Socrate, en possession d’un moyen sûr de faire fortune. Or, quiconque sait gagner avec peu, est à plus forte raison capable avec beaucoup de faire une grande fortune. — Tu as donc oublié que tout à l’heure, dans la conversation, tu disais, sans me laisser la permission d’ouvrir la

  1. Pour ces prestations, entretiens de chevaux, etc. Cf. Mém., II, chap. vii ; Commandant de cavalerie, i ; Lucien, Timon, 23 ; Aristophane, Nuées, v. 13, etc.