Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/225

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d’apprendre tous les autres arts, et nous avons dit que les États méprisent les arts appelés manuels parce qu’ils semblent dégrader le corps et briser l’âme. On en aurait, disions-nous, une preuve convaincante, si, dans une invasion des ennemis, l’on partageait les laboureurs et les artisans en deux sections, et qu’on demandât aux uns et aux autres s’il faut défendre les campagnes ou sortir des champs pour garder les murs. Nous pensions bien qu’ainsi les cultivateurs voteraient pour se défendre et les artisans pour ne point combattre, mais pour demeurer fidèles à leur éducation, c’est-à-dire assis loin des fatigues et des dangers.

« Nous avons ensuite prouvé qu’il n’y a pas pour un homme beau et bon de profession ni de science au-dessus de l’agriculture, qui procure aux hommes le nécessaire. Car cette profession est la plus facile à apprendre et la plus agréable à exercer ; elle donne au corps la plus grande beauté, la plus grande vigueur, et aux âmes assez de loisir pour songer aux amis et à la chose publique. L’agriculture nous a paru encore exciter les hommes à devenir courageux, vu que c’est en dehors des remparts qu’elle fournit le nécessaire et la nourriture à ceux qui l’exercent. Voilà pourquoi, dans tous les États, c’est la profession la plus honorée, parce qu’elle donne à la société les citoyens les meilleurs et les mieux intentionnés. » Alors Critobule : « Que l’agriculture, Socrate, soit le plus beau, le meilleur et le plus agréable genre de vie, c’est ce dont je suis pleinement convaincu. Mais ce que tu prétends avoir remarqué, c’est-à-dire qu’il y a des cultivateurs qui travaillent de manière à se procurer abondamment par l’agriculture tout ce dont ils ont besoin, et d’autres qui s’y prennent de façon à ne tirer de l’agriculture aucun profit, c’est ce que j’entendrai de toi avec un double plaisir, afin de faire ce qui est bon et de ne pas faire ce qui est mauvais. — Eh bien, dit Socrate, cher Critobule, je vais tout d’abord te raconter comment un jour j’abordai un homme, qui me parut être réellement un de ceux auxquels on a justement donné le nom de beaux et de bons[1].

  1. Cicéron avait traduit ce dialogue de Xénophon. Nous trouvons dans se » fragments la traduction d’une partie de cette phrase : « Homo ex eo numero hominum qui apud nos hoc nomine dignantur. » (Priscien, VIII, iv, § 19.) Au fond, l’épithète καλός τε κᾀγαθός s’applique aux gens vertueux, aux gens de bien ; mais on perdrait souvent toute la délicatesse de la pensée de Xénophon, si on ne la traduisait pas littéralement, et dans ce passage entre autres.