Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/238

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plus indépendant que l’autre : voilà le pied sur lequel nous l’avons mise dans notre maison.

Après tout cela, Socrate, je dis à ma femme que tout cet appareil ne nous servirait de rien[1], si elle ne veillait point elle-même au maintien de l’ordre. Je lui appris que, dans les villes bien policées, les citoyens ne croient pas suffisant de se donner de bonnes lois ; ils choisissent pour conservateurs de ces lois des hommes qui, sentinelles vigilantes, approuvent ceux qui les observent et punissent ceux qui les transgressent. Je recommandai à ma femme de se considérer comme la conservatrice des lois dans notre ménage, de passer, quand elle le jugerait bon, la revue de tout notre mobilier, comme un commandant de garnison passe la revue de ses troupes ; d’examiner si chaque objet est en bon état, comme le sénat fait l’inspection des chevaux et des cavaliers ; de louer et d’honorer, en sa qualité de reine, tout ce qui relève de son autorité ; de gourmander et de punir tout ce qui en est digne. Je lui fis sentir encore qu’elle aurait tort de m’en vouloir de ce que je lui donnais dans notre ménage plus d’occupation qu’aux domestiques, attendu que ceux-ci ont en maniement les biens de leurs maîtres pour porter, soigner, garder, mais rien à leur usage, à moins d’une permission expresse ; tandis qu’un maître peut user de tout ce qu’il possède comme il l’entend. Celui donc qui gagne le plus à ce que son avoir se conserve, et qui perd le plus à ce qu’il se détériore, est le plus intéressé à le surveiller : voilà ce que je lui fis comprendre. — Eh bien ! repris-je, Ischomachus, ta femme, après t’avoir écouté, a-t-elle fait ce que tu désirais ? — Socrate, reprit-il, qu’avait-elle à me répondre, sinon que j’aurais d’elle une fausse opinion, si je croyais qu’elle acceptât à regret les fonctions et les soins dont je lui faisais voir la nécessité ? Elle ajouta que ce serait pour elle une peine beaucoup plus grande, si je lui enseignais de négliger son avoir au lieu de soigner notre bien commun. « De même, dit-elle encore, qu’il est naturel et plus facile à une bonne mère de soigner ses enfants que de les abandonner, de même c’est un plaisir plus grand pour une femme raisonnable de prendre soin des provisions qui lui agréent que de les négliger. »

  1. Cf. Cicéron dans Columelle, XII, iii.