Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/246

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fais quand tu as besoin d’un bon ouvrier, et que, sachant qu’il y a quelque part un ouvrier adroit, tu essayes de te le procurer ? ou bien est-ce toi-même qui formes tes contre-maîtres[1] ? — C’est moi, par Jupiter, qui essaye de les former. Celui, en effet, qui doit me représenter en mon absence, a-t-il besoin de savoir autre chose que ce que je sais moi-même ? Si je suis capable de surveiller les travaii, je puis bien apprendre cette science à d’autres. — Avant tout, repris-je, c’est de l’attachement à ta personne et aux tiens que doit avoir ton remplaçant : car sans attachement, à quoi servirait la science, quelle qu’elle fût, de ton contre-maître ? — À rien, par Jupiter, reprit Ischomachus ; aussi, c’est cet attachement à moi et aux miens que j’essaye d’abord de lui inspirer. — Et comment, au nom des dieux, peux-tu inspirer à qui tu veux cet attachement à toi et aux tiens ? — En faisant du bien, dit Ischomachus, toutes les fois que les dieux m’accordent à moi-même quelque faveur. — C’est-à-dire, repris-je, que ceux qui ont pris part à tes bienfaits se montrent attachés à toi et te souhaitent du bien. — Je ne vois pas, Socrate, de meilleur procédé pour provoquer l’attachement. — Eh bien, Ischomachus, repris-je, dès qu’un esclave se montre attaché, est-il par cela même un bon contre-maître ? Ne vois-tu pas que tous les hommes ont de l’attachement pour eux-mêmes, mais que pourtant un grand nombre d’entre eux ne veulent pas se donner de peine pour se procurer les biens qu’ils désirent ? — Par Jupiter, dit Ischomachus, quand je veux avoir des contre-maîtres tels que nous disons, je m’attache à les rendre soigneux. Aussi, Socrate, ne sont-ils pas tous capables de devenir soigneux. — Quels sont donc ceux avec qui l’on peut réussir ? Indique-les-moi clairement. — D’abord, Socrate, tu ne pourras jamais rendre soigneux les gens adonnés au vin : l’ivrognerie engendre l’oubli de tous les devoirs. — N’y a-t-il que les ivrognes, lui dis-je, qui ne soient point capables de devenir soigneux, ou bien y en a-t-il d’autres ? — Par Jupiter, reprit Ischomachus, il y a encore les dormeurs : le dormeur ne saurait faire son devoir ni le faire faire aux autres. — Eh bien, repris-je, sont-ce là les seuls que l’on ne puisse rendre soigneux, ou bien y en a-t-il encore d’autres ? — Il me semble, reprit Ischomachus, que les gens trop passionnés pour l’amoureux plaisir sont incapables de s’intéresser à autre chose qu’à leur passion ; il n’y a point,

  1. Cf. Cicéron dans Columelle, XI, i.