Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/304

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des offrandes plus chastes ? C’est ce que je n’ignore point. Et l’on peut croire que la Vénus Pandème inspire les amours du corps, tandis que la Vénus Uranie inspire l’union des âmes, l’amitié, les actes généreux. C’est de cet amour, Callias, que je te crois épris. Je le présume du moins, quand je songe à l’honnêteté de celui que tu aimes, quand je vois que tu n’as d’entretien avec lui qu’en présence de son père. On n’a rien, en effet, à cacher à un père, quand on est aimé par un homme beau et bon.

— Par Junon[1] ! dit Hermogène, je t’admire, Socrate, à plus d’un titre, mais surtout de ce qu’en flattant Callias, tu lui apprends aussi ce qu’il doit être. — Oui, par Jupiter ; mais, afin de lui plaire encore davantage, je veux prouver que l’amour de l’âme l’emporte de beaucoup sur l’amour du corps. Aucune liaison n’a de prix sans l’amitié ; c’est une vérité connue de nous tous : ensuite l’affection qu’on éprouve pour le caractère de celui qu’on aime s’appelle une douce et volontaire contrainte ; mais la plupart de ceux qui ne désirent que le corps blâment et détestent le moral de ceux qu’ils aiment. S’ils aiment tout ensemble le corps et l’âme, la fleur de la beauté se fane bientôt, et avec elle il faut que l’amitié se flétrisse ; plus l’âme, au contraire, marche avec le temps vers la perfection, plus elle devient aimable. D’ailleurs aux jouissances de la beauté est attaché je ne sais quel dégoût : la satiété que produisent les mets, les mignons finissent aussi par la produire ; mais l’amour de l’âme est insatiable, parce qu’il est pur. Et cependant qu’on ne lui suppose pas pour cela moins de charmes ; c’est alors, au contraire, que s’accomplit la prière faite à la déesse de n’inspirer que des paroles et des actes dignes de son nom. En effet, qu’un être aimé soit l’objet de l’affection, de la tendresse d’une âme qui joint à des formes distinguées, à un caractère généreux, une supériorité marquée sur ses égaux et une grande bienveillance, cela n’a pas besoin d’être prouvé ; mais comment la personne aimée doit payer un tel amant d’un juste retour, c’est ce que je vais démontrer. Et d’abord comment quelqu’un pourrait-il haïr celui qu’il sait le regarder comme beau et bon, qu’il voit plus occupé de la beauté de la personne aimée que de son propre plaisir, dont il est sûr que l’amitié ne s’amoindrira ni par de légers torts, ni par la maladie ? Comment deux per-

  1. Sorte de serment familier à Socrate, ainsi que nous l’avons déjà remarqué.