Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/34

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d’un coup, bientôt notre corps et notre âme chancellent, et nous perdons haleine ; mais si nos esclaves nous versent souvent dans de petites coupes, le vin ne nous inspire pas la violence de l’ivresse, et nous descendons aux douceurs de l’enjouement. » Aimable épicurisme de buveurs, leçon de modération dans le plaisir même, dont se souvient Horace, et que n’a point oubliée Béranger !

Lancée sur cette pente de l’esprit et du rire, la conversation s’engage vive, rapide, et surtout paradoxale, comme il convient après boire. Ainsi Callias se croit le talent de rendre les hommes meilleurs ; Nicératus se vante de savoir par cœur l’Iliade tout entière, ainsi que l’Odyssée ; Critobule est fier de sa beauté ; Antisthène, de sa richesse ; Charmide, de sa pauvreté ; Hermogène, du nombre et de la constance de ses amis ; Lycon, de son fils : Philippe loue sa profession de bouffon, et le Syracusain la sottise humaine, qui le fait vivre de ses marionnettes. Mais le plus singulier paradoxe, c’est celui de Socrate, qui, se faisant un visage plein de gravité, dit à Callias que le métier dont il tire sa gloire est celui d’entremetteur. Aussi, malgré tout ce qu’il y a de gracieux et de charmant dans les raisonnements que produit chaque convive pour soutenir son opinion, propos semés d’interruptions piquantes, de digressions où pétille le sel attique, il n’est personne qui ne soit curieux de voir comment Socrate se tirera du pas étrange où il s’est engagé. On devine sans peine qu’il en sort à sa louange, et que le gros mot dont a usé sa moquerie masquait la profession généreuse, utile et chaste, où s’est employée toute sa vie, qui fut d’unir entre eux les hommes par les liens d’une sympathie née d’une estime réciproque et du sentiment de leurs devoirs.

La discussion, qui s’établit ensuite entre Critobule et Socrate, n’a pas seulement le mérite de fixer nettement la théorie judicieuse de l’école socratique en matière de beauté, elle nous aide à reconstruire, par la réunion des traits épars qu’elle nous présente, la physionomie, d’ailleurs si populaire, du grand philosophe. Nous trouvons là ses yeux à fleur de tête, son regard de taureau, pour parler avec Rabelais