Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/43

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Cet ouvrage, destiné à faire suite à celui de Thucydide, embrasse la période qui s’étend depuis la victoire navale des Athéniens, auprès de Cyzique, l’an 411 avant Jésus-Christ, jusqu’à la bataille de Mantinée, livrée l’an 362 : c’est un espace de près de cinquante ans. On ne trouve, dans l’exposé des faits, ni la grâce ingénue d’Hérodote, ni la vigueur, le nerf, la profondeur de Thucydide. Il semble que le talent de Xénophon, avant tout philosophe et moraliste, ait quelque chose de froid et de languissant, dès qu’il cesse de se répandre, comme Socrate, son maître, en conversations philosophiques et morales. On dirait que son feu l’abandonne, qu’il cesse de se passionner du moment qu’il n’est plus en présence de ce qui est actuel, pratique, propre à diriger et à instruire. Il lui faut la rapidité concise du dialogue ou la carrière du discours familier : il lui faut des événements auxquels il ait pris part, comme dans l’Expédition de Cyrus, ou que son imagination puisse modifier, sinon créer, à sa guise, comme dans la Cyropédie, pour que sa pensée se déploie dans toute sa franchise et toute sa liberté.

C’est ainsi que nous nous expliquons l’infériorité relative des Helléniques et le silence de Xénophon sur certains faits et sur certains hommes qu’il a peut-être craint de présenter mal sur la scène de l’histoire, faute de les trouver utiles ou de les estimer. On y rencontre cependant de fort beaux passages, et nous sommes convaincus que bien des gens n’ont dit du mal des Helléniques que pour ne les avoir point lues. Je doute qu’on trouve chez Hérodote ou chez Thucydide un épisode qui émeuve plus vivement que le récit de la lutte suprême, désespérée, de Théramène contre Critias. Ce n’est pas une page de l’histoire grecque, c’est quelqu’une des scènes de notre révolution : Robespierre abandonnant Danton, pour le livrer au bourreau, Saint-Just dénonçant Camille Desmoulins, qui lui dispute chèrement sa vie.

Les Trente ont inauguré dans Thèbes un régime de terreur et de sang. Théramène, quelque temps leur complice, finit par être effrayé de tant d’excès : il veut se détacher de leur parti, et il fait opposition au gouvernement