Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/44

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même qu’il a fondé. Alors Critias, entrant dans le conseil, suivi de ses sicaires, qui ont caché des poignards sous leur aisselle : « Citoyens conseillers, s’écrie-t-il, si quelqu’un de vous pense qu’il y a eu plus de morts que les circonstances ne l’exigeaient, qu’il songe que partout, dans les révolutions, il en est de même, et que ceux qui ont établi l’oligarchie doivent avoir nécessairement un grand nombre d’ennemis dans une ville, qui non-seulement est la plus peuplée de toutes les cités de la Grèce, mais encore dans laquelle le peuple a vécu depuis si longtemps en liberté. Pour nous, qui connaissons tout ce qu’il y a de mauvais dans la démocratie…, si nous voyons quelque part un ennemi de l’oligarchie, nous mettons tout en œuvre pour nous en débarrasser. Mais il nous paraît plus juste encore que celui de nous-mêmes qui gênerait le gouvernement actuel, en porte la peine. Maintenant donc, nous nous sommes aperçus que Théramène, ici présent, cherche de son mieux à nous perdre, vous et nous. La vérité de ce que je dis, vous la reconnaîtrez en réfléchissant que personne plus que lui ne blâme ce qui se fait, et ne s’oppose à nos plans, quand nous voulons nous débarrasser de quelque démagogue. S’il avait pensé de la sorte dès le début, il serait notre ennemi ; mais du moins on aurait tort de le considérer comme un pervers. Seulement c’est lui qui le premier… a voulu renverser la démocratie, c’est lui qui nous a le plus vivement engagés à punir les premiers accusés amenés devant vous ; et maintenant que nous sommes, vous et nous, les ennemis déclarés du peuple, il n’approuve plus ce qui se fait, afin de se mettre lui-même à l’abri et de nous laisser responsables de ce qui s’est passé. »

Critias énumère alors les griefs que ses collègues et lui sont en droit de reprocher à Théramène, dont il flétrit la versatilité, en lui jetant à la face son surnom de Cothurne ; puis, revenant sur les nécessités sanglantes du gouvernement oligarchique : « Certainement, dit-il, toutes les révolutions sont meurtrières, et toi-même, Théramène, par ta facilité à changer de parti, tu t’es rendu complice de la