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Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/52

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rôle difficile, épineux, plein de menaces et de périls. Le portrait qu’il a tracé d’un général dans ses Mémoires sur Socrate, c’est lui-même, à cette heure solennelle de sa vie, c’est en lui qu’il en a pris le modèle, et, si quelques traits en sont outrés, s’il érige en qualités des défauts qui peuvent blesser notre délicatesse, qu’on songe aux hommes qu’il avait à conduire, et l’on s’étonnera moins que ce Duguesclin des temps antiques nous esquisse plutôt la figure d’un chef de malandrins que celle d’un capitaine de troupes régulières et disciplinées. « Il faut, dit-il, que le général sache se procurer tout le matériel de la guerre et fournir de tout le soldat ; qu’il soit fécond en expédients, entreprenant, soigneux, patient, entendu, indulgent et sévère, franc et rusé, cauteleux et agissant à la dérobée, prodigue et rapace, libéral et cupide, réservé et résolu. » Et ce qu’il dit, il le met en pratique ; il agit comme il se peint. Mais aussi dans quelles circonstances ! Jamais spectacle, avant 1812, n’a été donné aux hommes, plus émouvant, plus dramatique que cette retraite, dont le parcours est de plus de deux mille kilomètres à travers des pays pour la plupart inconnus des Perses eux-mêmes, et cela, malgré les déserts, les montagnes, les fleuves, les neiges, la disette, les peuplades sauvages. Certes, nous admirons l’héroïsme de cette troupe sans cesse harcelée par les ennemis, par le besoin, par la maladie, par le froid ! Mais quel acteur nous étonne et nous touche plus que Xénophon lui-même ? Quelle sérénité ! quelle énergie ! quelle résolution au milieu des souffrances et des privations de toute espèce, jusqu’au moment où, pour couronner l’œuvre, il nous pénètre d’une émotion profonde en nous disant l’enthousiasme des Grecs lorsque, parvenus au mont Théchès, ils découvrent à l’horizon la vaste étendue du Pont-Euxin ! C’est un cri de délivrance et de salut. Ils vont enfin s’embarquer, c’est-à-dire échapper à la mort. Avant peu, comme ils le disent dans leur pittoresque langage, ils vont arriver en Grèce après tant de travaux et de douleurs, semblables à Ulysse, étendus sur le tillac et dormant ! Citons ce beau passage : « Quand les premiers