Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/99

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l’opinion dans laquelle je persiste. S’il faut servir ses amis ou sa patrie, qui donc en aura plus le loisir, de celui qui vit comme je fais, ou de celui qui embrasse la manière de vivre dont tu te glorifies ? Qui se mettra le plus aisément en campagne, de celui qui ne saurait vivre sans une table somptueuse ou de celui qui se contente de ce qu’il a sous la main ? Qui capitulera le plus promptement, de celui qui a besoin des mets les plus difficiles à trouver, ou de celui qui est satisfait des aliments les plus vulgaires ? Tu sembles, Antiphon, mettre le bonheur dans les délices et la magnificence ; pour moi, je crois que la divinité n’a besoin de rien ; que, moins on a de besoins, plus on se rapproche d’elle ; et, comme la divinité est la perfection même, ce qui se rapproche le plus de la divinité, se rapproche le plus de la perfection. »

Un autre jour, Antiphon disait encore à Socrate : « Socrate, je te crois un homme juste, mais pas tout à fait un homme sage. Il me paraît d’ailleurs que tu es aussi de cet avis ; et voilà pourquoi tu ne fais point argent de tes leçons. Cependant ton manteau, ta maison, et rien de ce qui t’appartient et que tu crois valoir quelque argent, tu ne le donnerais gratuitement à personne, ni pour un prix au-dessous de sa valeur. Il est clair que, si tu estimais aussi tes leçons, tu te les ferais payer ce qu’elles valent. Tu es donc un honnête homme, puisque tu ne trompes pas par cupidité, mais non point un sage, puisque tu ne sais rien qui soit de quelque valeur. » À cela Socrate répondit : « Antiphon, n’est-il pas d’usage parmi nous qu’on peut faire de la beauté comme de la sagesse un emploi honnête ou honteux ? Quiconque trafique de la beauté avec qui veut la lui payer, s’appelle un prostitué ; mais celui qui, connaissant un homme épris de la vertu, cherche à s’en faire un ami, on le regarde comme un homme sensé. Il en est de même de la sagesse : ceux qui en trafiquent avec qui veut la leur payer, s’appellent sophistes ou bien prostitués ; mais celui qui, reconnaissant dans un autre un bon naturel, lui enseigne tout ce qu’il sait de bien et s’en fait un ami, on le regarde comme fidèle aux devoirs d’un bon citoyen. Moi de même, Antiphon : ainsi qu’un autre est heureux d’avoir un bon cheval, un chien, un oiseau, je suis heureux, et plus encore, d’avoir de bons amis. Tout ce que je sais de bien, je le leur apprends, et j’y ajoute tout ce qui peut les aider à devenir vertueux. Les trésors que les anciens sages nous ont laissés dans leurs livres, je les parcours en société de mes amis ;