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garde passer les Grecs. Cléarque, qui était en tête, les fait défiler deux à deux, et commande de temps à autre un moment d’arrêt. Ainsi, toutes les fois que la tête de la colonne s’arrête, le reste de la colonne en fait autant : de cette manière elle parut très-nombreuse aux Grecs, et le Perse qui la regardait fut frappé d’étonnement[1].

De là en six étapes, on fait trente parasanges à travers les déserts de Médie, et l’on arrive aux villages de Parysatis, mère de Cyrus et d’Artaxercès. Tissapherne, pour insulter à Cyrus, permet aux Grecs de les piller, mais avec défense de faire des esclaves. On y trouve beaucoup de blé, de bétail et autre butin. On fait ensuite vingt parasanges en quatre étapes dans le désert, ayant le Tigre à gauche. À la première étape, de l’autre côté du fleuve, on voit une ville grande et florissante, nommée Cænæ[2], dont les habitants apportent sur des radeaux faits de peaux, du pain, du fromage et du vin.


CHAPITRE V.


Arrivée au fleuve Zabate. — Entrevue de Cléarque et de Tissapherne. — Les principaux chefs des Grecs sont pris en traître et livrés au roi.


On arrive ensuite au fleuve Zabate[3], large de quatre plèthres. On y séjourne quatre jours. On avait bien des soupçons, mais on n’avait la preuve d’aucun piége. Cléarque résout donc de s’aboucher avec Tissapherne, pour dissiper, s’il était possible, les soupçons, avant qu’il en sortît la guerre. Il lui envoie dire

  1. « Il est sans doute des manœuvres par lesquelles un général habile en Impose aux yeux de l’ennemi, et multiplie pour ainsi dire ses troupes ; mais celle-ci me paraît grossière. Comment Cléarque, prêtant le flanc à l’armée nombreuse du frère du roi, osa-t-il faire défiler ainsi les Grecs et former de ses troupes une colonne qui ne finissait point et qui n’aurait pu opposer de résistance, si les Barbares eussent chargé ? On n’était point, à la vérité, en guerre ouverte avec eux ; mais on a vu quels soupçons existaient, on va voir combien ils étaient fondés. Il fallait d’ailleurs que la Perse fût bien peu accoutumée à voir des troupes, pour que cette procession ridicule lui fit illusion. Cléarque était un militaire. Quoique le texte soit clair, je le soupçonne d’être corrompu. » De la Luzerne.
  2. Un lieu nommé Senn et El-Senn paraît occuper l’emplacement de l’ancienne Cænæ.
  3. Le Zab.