Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/55

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qu’il désire avoir une entrevue avec lui. Tissapherne le prie de venir sur-le-champ. Dès qu’ils sont ensemble, Cléarque lui dit : « Je sais, Tissapherne, que nous avons juré, la main dans la main, de ne nous faire mutuellement aucun tort : je vois pourtant que tu te tiens sur tes gardes avec nous comme avec des ennemis, et nous, voyant cela, nous nous tenons aussi sur nos gardes. J’ai beau chercher, je ne puis découvrir que tu aies essayé de nous faire du mal, et je suis sûr que nous ne formons aucun projet contre toi. J’ai donc désiré une entrevue, afin que, s’il est possible, nous fassions disparaître cette mutuelle défiance : car je vois que les hommes qui, sur une calomnie ou sur un soupçon, ont peur les uns des autres et veulent prévenir le mal, causent des maux irréparables à des gens qui n’avaient ni les moyens ni l’intention de nuire. Persuadé qu’une explication peut certainement mettre un terme à ces malentendus, je viens, et je veux te prouver que tu as tort de te défier de nous. Avant tout, garantie puissante, nos serments à la face des dieux nous empêchent d’être ennemis. Quiconque a conscience de les avoir violés, est, selon moi, le plus misérable des hommes. En guerre avec les dieux, je ne sache point de vitesse qui dérobe à leur poursuite, de ténèbres qui cachent, de forteresse qui mette à l’abri. Partout, tout est soumis aux dieux, partout et sur tout les dieux exercent un égal empire. Voilà ce que je pense au sujet des dieux, et des serments par lesquels nous nous sommes engagé notre amitié. Passant à des considérations humaines, je te regarde, toi, dans les circonstances présentes, comme notre plus grand bien. Avec toi tout chemin est ouvert, tout fleuve guéable, nul manque de vivres : sans toi, toute route est ténébreuse, puisque nous n’en connaissons point ; tout fleuve infranchissable, toute multitude effrayante, et plus effrayante encore la solitude, toute semée d’abandon. Si la fureur nous portait à te faire périr, qu’aurions-nous produit en tuant notre bienfaiteur, qu’une lutte avec le roi, le vengeur le plus terrible ? Mais encore, de quelles espérances je me priverais moi-même, si j’essayais de te faire du mal, je vais te le dire.

« J’ai souhaité d’être l’ami de Cyrus, parce que je croyais trouver en lui l’homme de son temps le plus en état de faire du bien à qui il voudrait. Je te vois aujourd’hui maître du pouvoir et du domaine de Cyrus, sans perdre pour cela ton propre gouvernement ; je vois que cette puissance royale, dont Cyrus s’était fait une ennemie, est, au contraire, une alliée