Page:Young - Voyages en France en 1787, 1788 et 1789.djvu/275

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l’abbé Siéyès, MM. Mounier, Chapelier, Barnave, Turgot, Tourette, Rabaud et autres chefs de partis se sont presque mis à ses genoux pour qu’il insiste à faite accepter sa démission, dans la conviction que sa retraite jetterait plus que toute autre chose le parti de la reine dans des difficultés infiniment plus graves et plus embarrassantes. Mais sa vanité a prévalu sur leurs efforts pour lui faire prêter l’oreille aux paroles insidieuses de la reine, qui a l’air de lui demander grâce et lui fait croire que lui seul est capable de maintenir la couronne sur la tête du roi. En même temps qu’il se prête à ces manœuvres, contrairement à l’intérêt des amis de la liberté, il brigue les applaudissements de la populace de Versailles d’une manière déplorable. Pour aller chez le roi et pour en revenir, les ministres ne traversent jamais la cour à pied ; ce dont M. Necker s’avisa, quoiqu’il ne l’eût pas fait dans des temps plus tranquilles, afin de provoquer les louanges, de s’entendre appeler le Père du peuple, et de traîner sur ses traces une foule immense qui l’acclame. Presque au même moment que la reine, dans une entrevue privée, parlait à M. Necker, ainsi que je l’ai dit, elle recevait les députés de la noblesse, en appelait à leur honneur pour soutenir les droits de son fils qu’elle leur présentait, montrant clairement que, si les projets du roi n’étaient pas vigoureusement soutenus, la monarchie était perdue et la noblesse engloutie. Tandis que le tumulte soulevé par M. Necker faisait retentir le château, le roi, se rendant en voiture à Marly, n’était accueilli que par un lugubre et morne silence, et cela, après avoir accordé au peuple et à la cause de la liberté plus qu’aucun de ses prédécesseurs. Telle est la foule, telle l’impossibilité de la satisfaire dans un moment comme celui-ci, lorsque l’imagination exaltée