Page:Young - Voyages en France en 1787, 1788 et 1789.djvu/423

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Le 18. — J’ai rencontré aujourd’hui à dîner, chez le duc de Liancourt le marquis de Casaux, auteur du Mécanisme des Sociétés ; malgré toute la chaleur, le feu d’argumentation, la vivacité de manières qui caractérisent ses écrits, il est très calme dans la conversation, et n’a que peu de cette effervescence que ses livres font attendre de lui. Le comte de Marguerite a avancé aujourd’hui à table, devant près de trente députés, un fait excessivement grave : parlant du vote sur l’affaire de Toulon, il a soutenu que plusieurs députés s’en sont fait ouvertement les champions en prétendant qu’il fallait encore plus d’insurrections. Je regardai tout autour de moi pour voir venir une réponse : à mon extrême surprise, personne ne répliqua un mot. Après une pause de quelques moments, M. Volney, le voyageur, déclara qu’il croyait le peuple de Toulon dans son droit, et justifiable dans toute sa conduite. L’histoire de Toulon est connue de tout le monde. Ce comte de Marguerite a la tête dure, sa conduite est ferme, ce n’est sûrement pas un enragé. À dîner, M. Blin, député de Nantes, parlant du club de la Révolution qui se tient aux Jacobins, dit : « Nous vous avons donné un bon président, » puis il demanda au comte pourquoi il n’y venait pas. Celui-ci répondit : « Je me trouve heureux, en vérité, de n’avoir jamais été d’aucune société politique particulière ; je pense que mes fonctions sont publiques et qu’elles peuvent aisément se remplir sans associations particulières. » Personne ne répliqua. Le soir M. Decrétot et M. Blin m’ont mené à ce club des Jacobins : la salle où il se tient est, comme je l’ai déjà dit, celle où fut signée la fameuse Ligue. Il y avait plus de cent députés présents, et le président sur son fauteuil. On me présenta à lui comme l’auteur de l’Arithmétique politique ; alors il se leva,