Page:Yver - Un coin du voile.djvu/40

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lui nuit et jour, dans une observation anxieuse et passionnée, la jeune femme lui devina des facultés de jouissance : le palais et l’ouïe survivaient à la ruine. Elle se consacra à la satisfaction de ces deux sens, tristes vestiges de l’existence ancienne. Pour sa gourmandise, elle s’épuisa en cuisines savantes, légères, raffinées, et ne lui servait que des plats exquis, alimentation délicate d’un nourrissage d’enfant, régime sybaritique d’un gourmet. Et il y avait ainsi, à côté de la voracité honteuse du fou, la poésie de l’amoureuse qui le servait. Pour son oreille, elle évita les bruits, les chocs violents. Elle assourdit son marcher, créa dans les chambres un silence absolu. Elle s’étudia à travailler, aller, venir, agir, comme une ombre. On aurait dit l’enchantement de toute la maison, les objets privés de poids, ouatés, sans heurts. C’était comme la matérialisation d’une paix infinie qui flottait dans l’atmosphère avec les glissements muets de cette jeune femme lente et douce. Puis, parfois, auprès du fou, elle chantait à mi-voix des mélodies berçantes.