Page:Yver - Un coin du voile.djvu/43

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sa déchéance, toute son animalité humaine à nu. Elle oubliait l’intellectuel pour s’attacher à ce pauvre être sans pensée. Elle l’aima comme on aime un infirme, de tout le dévouement qu’on lui a consacré. Et sa nature caressante, avide de câlineries, de tendresses et de baisers, lasse de se leurrer de souvenirs qui devenaient de plus en plus fugaces, se satisfaisait à embrasser maternellement ce demi-cadavre.

Et cela devint, quand même, à la longue, une effroyable solitude morale. Elle avait écarté de sa vie tout être humain, pour être du fou la gardienne et l’esclave. D’ailleurs, il effrayait les visiteurs, et tout le monde la délaissa sans qu’elle eût besoin d’en manifester le désir.

Elle eut ainsi vingt-sept ans, et menait, sans rien regretter, sa sombre vie de recluse. Cependant, elle avait goûté au bonheur ; elle avait connu de l’amour, trois mois durant, les plus ineffables choses, et la saveur lui en était restée. Jeune fille, elle avait, près de son petit frère malade, vécu des jours comparables à ceux d’à-présent, mais dans une ignorance pai-