Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/135

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défiez-vous de tout, de l’air que vous respirez, de la jeune fille qui vous sourit et jette ses bras autour de votre cou... fuyez, fuyez, sautez sur votre bon cheval, et par les monts, par les plaines, courez, volez, fuyez, jusqu’à ce que vous ayez mis l’immensité entre vous et ceux qui vous guettent !"

Elle laissa brusquement tomber la main de Capestang, se mit à rire et, avant que le chevalier eût pu faire un geste, elle avait légèrement remonté le perron. Là, elle se retourna, leva le bras et, d’une voix qui fit frissonner le chevalier, répéta :

"Fuyez ! Demain, il sera trop tard ! Fuyez !"

Puis elle disparut. Capestang demeura une minute tout étourdi. Puis sautant sur Fend-l’Air, il reprit au galop la route de Paris. Il faisait nuit noire lorsqu’il arriva au Grand-Henri. Les chevaux furent installés à l’écurie, puis notre aventurier sortit en toute hâte, escorté de Cogolin, qui s’était armé de deux poignards et d’un pistolet, sans compter la colichemarde qu’il avait ceinte.

Au moment où il arriva devant l’hôtel d’Angoulême, onze heures sonnaient à Saint-Germain-l’Auxerrois. Cogolin se posta en sentinelle perdue au coin du quai. Capestang jeta un coup d’œil sur la façade de l’hôtel. Elle était silencieuse, obscure et triste comme le soir où il était déjà venu là, dans l’espoir de retrouver le duc d’Angoulême. Il s’approcha de la porte ; mais, cette fois, au lieu de soulever le marteau, il se mit à toucher l’une après l’autre les lettres qui composaient la devise gracieuse de la gracieuse Marie Touchet, mère du duc d’Angoulême : Je charme tout.

La porte ne s’ouvrit pas ! Capestang laissa retomber sa main découragée.

"Fou ! murmura-t-il, fou que je suis de m’être arrêté aux paroles d’une malheureuse démente ! Oh ! ajouta-t-il en tressaillant, elle n’a pas dit de toucher les lettres… elle a dit qu’il fallait toucher les mots. Essayons. Folie ou sagesse !"

Il appuya fortement le pouce sur l’ensemble du mot : Je. Rien ne bougea. Ce fut alors au tour du mot : charme. A peine le nocturne visiteur eut-il appuyé qu’il sentit le bronze céder sous sa pression… une sourde exclamation lui échappa. Le bruit léger d’un déclic venait de se faire entendre et il vit que la porte s’ouvrait !... Capestang entra d’un bond.

"Enfin !" gronda-t-il en lui-même.

Et tout à coup une bizarre impression de malaise s’abattit sur lui ; instinctivement il porta la main à sa rapière qu’il dégagea à demi du fourreau… Il lui sembla qu’il venait d’entrer dans une tombe... derrière lui, la porte se refermait sans bruit, d’elle-même, et il eut alors cette sensation que plus que jamais il ne sortirait pas de là. Autour de lui, l’obscurité était profonde, la nuit épaisse l’enveloppait, un silence