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Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/15

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En la matinée de ce même jour où s’ébauche le drame qui bientôt nous ramènera à l’hôtel d’Ancre, un jeune cavalier d’une vingtaine d’années galopait nonchalamment d’un petit galop flâneur, à quelques lieues de Longjumeau.

Mince, de taille hardie, souple comme un roseau – mais un roseau d’acier – il avait une figure irrégulière et narquoise, belle à sa façon, d’une audace ingénue, d’une témérité qui s’ignore. Ses yeux disaient sa confiance illimitée en son étoile. Il portait avec une crâne élégance un costume en velours gris perle, quelque peu râpé : pourpoint, manteau, hautes bottes montantes, chapeau de feutre dont le bord se retroussait en bataille sur une longue plume ondoyante – sans compter une solide rapière à poignée de fer ciselé, forgée par Miranda, de Tolède.

Tout à coup, le cheval s’arrêta devant un large ruisseau : c’était la jolie rivière de Bièvre qui paressait au soleil. Elle longeait à cet endroit l’orée d’une forêt. La route qui franchissait la rivière sur un ponceau situé à une lieu en amont, pénétrait, là, dans la forêt où elle se perdait.

Sur cette route, à vingt pas du ruisseau, était arrêté un carrosse – invisible pour notre jeune cavalier, abrité qu’il se trouvait derrière un opaque rideau de jeunes ormes. Et du fond de la voiture, à travers les frondaisons, une femme guettait le jeune homme qui, à défaut d’autre interlocuteur, bavardait avec son cheval :

"Ça nous apprendra, mon digne compagnon, à nous appeler Fend-l’Air. A quoi servirait-il de s’appeler Fend-l’Air, s’il fallait passer les rivières sur des ponts, comme tout le monde ? Si nous tombons, nous rebondirons comme Antée ou Centaure. Et si nous nous défonçons quelque côte, du moins notre défaite n’aura-t-elle pour témoins que le soleil et ces fleurs. Hop, Fend-l’Air, hop, hop !..."

Le cavalier avait pris du champ. Le cheval s’avançait sur l’obstacle au galop de manège, ramassé, frémissant, secouant de l’écume, se tendant comme un ressort à chaque foulée. Brusquement, l’homme rendit les rênes ; l’animal se rua en tempête ; il eut deux ou trois envolées de poitrail ; puis, les quatre fers étincelèrent ; un bondissement prodigieux dans l’espace ; l’instant d’après, sur l’autre rive, un hennissement de