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Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/223

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longue hésitation, s’était décidé à tout raconter lorsque s’était approchée l’heure indiquée par Bourgogne à Lanterne.

Que voulait Capestang ? Il ne le savait pas. Pourquoi allait-il rue des Barrés ? Il ne se le demandait pas. Entrerait-il par cette petite porte dont il avait la clef ? Il s’affirmait que non. De quel droit serait-il entré ? Et cependant, il allait sans savoir pourquoi ni dans quel but final… Il allait comme va la feuille poussée par un vent d’orage. Capestang arriva rue des Barrés, la tête en feu, le cœur sanglant. Il alla droit à la maison de Marie Touchet. Il y alla sans hésitation, en se couvrant d’injures et en se grondant en lui-même :

"Pourquoi aller jusqu’à cette maison où je ne dois pas entrer ?"

Comme il se disait cela, il se vit devant la petite porte. Il introduisit la clef dans la serrure, entra, et repoussa la porte derrière lui, sans la fermer tout à fait. Ce ne fut pas dans sa volonté de ne pas la fermer. Il ne savait pas ce qu’il faisait. Il concevait vaguement que ce qu’il faisait était insensé, mais il le faisait tout de même. Il vit un escalier couvert d’un tapis, et, avec la même décision qu’il avait mise à entrer dans la rue, à entrer dans la maison, il monta. Une porte se trouva devant lui : il ouvrit. Il se trouva alors dans une vaste salle où, comme en un rêve, lui apparut le portrait de Charles IX dans un cadre d’or bruni.

Cette salle, meublée de beaux dressoirs incrustés de cuivre, de bahuts aux bois sculptés, de fauteuils pareils à ceux qu’il avait vus dans la chambre de Louis XIII, Capestang la traversa sans s’arrêter.

"Oh ! rugit-il en lui-même. Je ne trouverai donc personne à qui parler, ici ! Oh ! je veux la voir... lui dire..."

Il venait d’entrer dans une deuxième pièce beaucoup plus petite et très sombre, et il vit que, de ce côté-là, il n’y avait pas d’issue. Il s’arrêta, souffla rudement et, dans cette seconde, brusquement, le bandeau lui tomba des yeux ; il comprit qu’il venait de faire acte de folie… qu’on allait sûrement venir, qu’on allait le trouver là et penser peut-être qu’il venait espionner pour le compte du roi ! puisque le duc d’Angoulême conspirait ! puisque déjà, dans les caves de la rue Dauphine, il avait surpris des secrets ! Une sueur froide mouilla son front.

"Qu’ai-je fait ? bégaya-t-il. Lors même que j’aurais le courage d’avouer que la jalousie et le désespoir m’ont poussé, qui me croira ? Pas même elle !"

Et à cette idée qu’elle pouvait le soupçonner d’espionnage, elle ! il se sentait mourir. Au même instant, il recula avec un frisson d’épouvante.

On venait d’entrer dans la grande salle ! Il entendait les voix de deux ou trois personnes qui causaient entre elles ! Capestang qui, dix fois déjà dans sa vie, avait vu la mort de près sans trembler,