Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/499

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ai laissé écrire une lettre. Je vous ai laissé dire tout ce que vous avez voulu. Je vous laisserai vivre, peut-être. J’ai trahi ma maîtresse une fois déjà, ajouta sourdement le Nubien. Je l’ai peut-être encore trahie quand j’ai laissé l’homme sortir. Je puis donc trahir une troisième fois. Écoutez-moi !"

Lorenzo avait monté trois marches de l’escalier. Il s’assit sur la quatrième. Il avait les jambes brisées. Son cœur palpitait en bonds désordonnés. Après la certitude de mourir, la certitude qu’il allait vivre le foudroyait.

"Aujourd’hui, reprit Belphégor, vous m’avez offert de me conduire au coffre qui contient vos richesses, et j’ai refusé. Si je vous disais que moi-même, j’ai de l’or en quantité ? Si je vous disais que non seulement je puis vous laisser vivre, mais que je puis aussi augmenter votre trésor et devenir ensuite votre esclave dévoué ?"

Belphégor parlait d’une voix morne. Il baissait les yeux. Il semblait contempler en dedans quelque image. Alors, Lorenzo s’aperçut qu’une douleur inconnue ravageait l’esprit du Nubien. Et, dès lors, il fut certain de triompher.

"On dit, continua Belphégor, on dit que vous êtes capable de lire dans l’avenir. Est-ce vrai ?

— C’est tellement vrai, dit Lorenzo en se levant et en redescendant deux marches, c’est tellement vrai que, tout à l’heure, quand tu m’as annoncé que tu allais me tuer, tu n’as pu voir en moi aucune émotion. Pourtant, sache-le, lorsque la mort entre vraiment quelque part, il n’est pas de créature vivante qui ne tremble. Moi, je n’ai pas tremblé. C’est que je savais que tu ne me frapperais pas de ce poignard que tu tiens à la main."

Belphégor se tut quelques minutes, méditant ces paroles. Lorenzo le dévorait du regard. Si, à ce moment, il s’était mis à bondir vers son laboratoire comme il l’avait convenu avec lui-même, il est certain qu’il eût pu fuir. Mais Lorenzo se croyait alors sûr de triompher.

"On dit que vous savez lire dans le passé. Est-ce vrai ?

— Quand tu voudras, dit Lorenzo, je te raconterai ta vie."

Belphégor baissa la tête et, d’une voix plus pensive :

"Maître, on dit que vous êtes sorcier. Est-ce vrai ? Dites, est-ce vrai que vous pouvez voir à travers les murailles, entendre à travers l’espace, suivre des yeux un homme si loin qu’il soit, le retrouver où il est. Est-ce vrai ?

— De qui veux-tu parler ? fit Lorenzo attentif.

— Je veux parler de quelqu’un... d’une femme ! dit Belphégor en frissonnant.

— Son nom ?

— Marion Delorme."

Et Belphégor frémit comme si ce nom, prononcé à haute voix, eût fait vibrer en lui toutes les fibres d’amour et de désespoir. Lorenzo sourit. Son triomphe, pour le coup, n’était plus qu’un jeu.