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Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/504

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lui, avec une sorte d’inexplicable embarras. tous les gentilshommes qui l’avaient acclamé à la réunion de la Pie-Voleuse. L’un d’eux, enfin, après l’avoir félicité de sa délivrance, finit par lui apprendre la vérité : qu’il avait fallu choisir un nouveau chef, qui était M. le duc de Guise ; et que tout était prêt pour une lutte suprême ; qu’en ce moment, M. de Guise était à l’hôtel de Condé, où il s’entendait avec les derniers partisans du prince embastillé ; qu’enfin M. de Guise irait au Louvre le lendemain, à la tête de mille gentilshommes soutenus par cent mille Parisiens.

Angoulême écouta ces nouvelles. Il ne trouva pas un mot à dire. Il sortit, silencieux, lent, la tête basse, écrasé par cette pitié même qu’il avait devinée chez celui qui lui avait parlé. Seulement, une fois dehors, il pleura.

Le jour commençait à poindre et accrochait des lueurs aux armes des bourgeois qui déjà occupaient les rues. Charles ne put supporter ce spectacle et courut s’enfermer dans cet hôtel de la rue Dauphine où il avait été saisi par Concini, et où, peut-être, sans doute même, il risquait d’être saisi ce jour par les gardes du duc de Guise devenu roi de France !

Trahi par Cinq-Mars ! Trahi par Guise ! Souffleté dans son ambition paternelle, bafoué dans son ambition politique, plus de partisans, plus d’amis, plus de fille, plus rien ! Il regretta la Bastille ! Il regretta la minute où il allait mourir. Une sorte de prostration morale s’empara du duc d’Angoulême. Pendant quelques heures, il ignora le sens de la vie, il s’abandonna à la mortelle consolation de ne plus penser. Le souvenir de sa fille même fut impuissant à le galvaniser. La pensée était morte en lui.


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Sans doute de longues heures s’écoulèrent. Lorsque le duc d’Angoulême se réveilla de sa torpeur, la nuit s’était faite. Mais il ne songea pas à allumer quelque flambeau ; les ténèbres, au contraire, lui formaient une sorte de cuirasse contre les impressions extérieures. Les rumeurs de Paris s’étaient éteintes, et il se dit :

"À cette heure, cette révolution qui eût dû se faire pour moi est accomplie et c’est un autre qui en profite. En ce moment, Guise reçoit au Louvre l’hommage de ces mêmes gentilshommes qui m’avaient juré fidélité. Misérables ! je..."

Dans cette nuit terrible, il repassa sa vie. Il chercha les minutes de bonheur parmi tant d’années de souffrances. Et alors, à mesure que ces instants du bonheur passé revivaient dans son imagination, il voyait se préciser la touchante figure de celle qu’il avait tant aimée aux jours radieux de sa jeunesse et qu’il avait peu à peu délaissée, dédaignée, oubliée : Violetta, duchesse d’Angoulême.

Un inexprimable attendrissement le pénétra. Ses larmes finirent par couler. Et ce n’étaient plus les larmes de rage, les larmes corrosives qu’arrache l’ambition déçue ; c’étaient les larmes rafraîchissantes