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Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/79

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état vague et imprécis. Toujours est-il qu’il prit la résolution de prévenir le duc, s’il le pouvait, et sans en espérer la moindre récompense.

Des heures sans doute s’étaient écoulées, car à ce moment, Cogolin rentra et dit simplement :

"Monsieur, il est midi, et j'ai commandé à maître Lureau un de ces pâtés d'alouettes. Monsieur, ajouta-t-il, avez-vous remarqué que maître Lureau n'a pas un cheveu sur...

— Midi ! interrompit machinalement le chevalier qui tressaillit. Midi ! répéta-t-il en se frappant le front. Mais je suis attendu aujourd’hui à midi, à l’hôtellerie des Trois-Monarques par ce jeune faquin qui s’appelle le marquis de Cinq-Mars. Il va croire que je me dérobe ! Il va me prendre pour un lâche ! Mordieu ! Têtebleu ! Corbacque ! Cogolin, ma rapière, mon cheval !

— Monsieur, dit Cogolin, il s'en faut d'une bonne demi-heure. Seulement, quand il s'agit du dîner ou du souper, mon estomac avance toujours. Il y a si longtemps qu’il est en retard qu’il cherche maintenant à se rattraper. Ainsi donc, monsieur peut tâter de ce digne pâté, sans crainte d’arriver en retard aux Trois-Monarques, qui sont à cinq minutes d’ici, rue de Tournon."

Pour toute réponse, Capestang ordonna à Cogolin de le suivre. Cogolin poussa un profond soupir, mais obéit. Sur l’ordre de son maître, il brida et harnacha Fend-l’Air. Puis le chevalier le vit avec surprise seller un autre cheval, rouan trapu et solidement taillé.

"Que diable fais-tu là ? demanda-t-il.

— Puisque monsieur sort nonobstant le pâté d’alouettes, il faut bien que je selle mon cheval pour suivre monsieur, répondit Cogolin avec son sourire le plus jocrisse. Monsieur peut être tranquille, je tiendrai ma distance à six pas.

— Ton cheval ? Tu as donc un cheval, toi ? Et depuis quand ?

— Depuis une heure, monsieur. Ainsi que je vous en ai demandé la permission, je me suis mis sur le pas de la porte, et j'ai sifflé toutes les fois que j'ai vu passer un cavalier. Or, vous me croirez si vous voulez, mais j’ai eu beau siffler, enfler les joues, essayer de tous les airs, aucun de ces chevaux que j’ai vu passer ne s’est laissé émouvoir, aucun n’a désarçonné son cavalier pour venir se faire embrasser les naseaux par moi. Assez étonné, je l’avoue, j’allais rentrer dans l’hôtellerie lorsque je vis venir ce rouan, et fis une dernière tentative. Enfin ! À mes coups de sifflets stridents, j’eus la joie de voir mon rouan s’arrêter court. Malheureusement, c’était le cavalier qui venait d’arrêter sa monture. Cet homme, au lieu de se laisser désarçonner, mit simplement pied à terre, s’en vint à moi, saisit un bâton qui se trouvait là, et se mit à me rosser d’importance en disant que je m’étais moqué de lui et que cela m’apprendrait à siffler. Puis il me demanda qui