Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/80

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

m’avait poussé à lui faire cet affront. Aussitôt, je lui contai l’affaire. Alors, monsieur, cet homme qui, comme je l’ai su par maître Lureau, est un honnête maquignon de Vaugirard, cet homme se mit à rire, me fit mille caresses, et m’assura que si je voulais siffler de la manière qu’il m’indiquerait, le rouan viendrait à moi tout aussitôt. Et il ajouta que dès lors, le cheval m’appartiendrait sans qu’il m’en coûtât un denier. Transporté de joie, je le pressai de m’apprendre à siffler, et c’est ce qu’il consentit à faire. Je sifflai donc, le rouan vint à moi, et je le mis à l’écurie, tandis que le maquignon poursuivait à pied son chemin. Seulement, par un entêtement qui gâte sa belle action, cet homme ne voulut jamais m’apprendre à siffler avant que je lui eusse versé en mains quelques pistoles que je pris dans votre bourse.

— Et combien lui as-tu donné de ces pistoles ? fit le chevalier en frémissant.

— Quinze, monseigneur, quinze pauvres pistoles. Ce n’est rien pour connaître un si beau secret."

Capestang examina le cheval en connaisseur, et murmura :

"Cent cinquante livres ! Allons, ce n'est pas trop cher. Tu as raison, Cogolin, il te fallait une monture, et ce maquignon ne t’a pas volé ! Mais combien reste-t-il dans la bourse ?

— Neuf pistoles, monsieur. Vous êtes riche encore.

— Nous leur donnerons les noms des neuf muses !" dit le chevalier qui se mit en selle tout joyeux de se trouver encore riche.

Il s'élança donc d'un bon trot, et bientôt, descendit la rue de Tournon sans prendre d'autre précaution que de rabattre son feutre sur ses yeux. C'était d'une insolente audace. Mais Capestang, qui sous ses airs de rodomont ne laissait pas que de raisonner subtilement, se disait que le meilleur moyen de n’être pas vu, c’est de ne pas se cacher. Et puis Capestang se disait qu’on le tenait pour mort. Et puis enfin, la bravade était dans son tempérament. Il pouvait avoir peur, il ne pouvait laisser voir à d’autres ni à lui-même qu’il avait peur. Quoi qu’il en soit, il arriva sans encombre aux Trois-Monarques, se fit conduire à l’appartement du marquis de Cinq-Mars, et y entra au moment où midi sonnait.

"Bravo ! fit le jeune marquis. Vous êtes, chevalier, d'une politesse vraiment royale, c'est-à-dire d'une exactitude qui...

— En auriez-vous douté, par hasard ! interrompit Capestang qui déjà se redressait, le poing sur la hanche.

— Dieu m'en garde ! Convenons donc tout de suite des conditions de notre combat. Car, ajouta le marquis avec hauteur, je vois que vous pourriez sortir de cette royale politesse que je vantais tout à l’heure en vous.

— Corbacque ! gronda Capestang dont les oreilles s’échauffaient, la politesse en matière de duel consiste à dégainer sans phrases.