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DISCOURS.


Soldats de cette eſpèce que l’on nous avoit donnés, il y en eut deux qui menacerent de faire ſauter le Vaiſſeau. On les mit aux fers : un des deux trouva le moyen d’en ſortir. On l’attacha au Mât d’artimon, ſur la Dunette ; & n’ayant pour nourriture que du bifcuit & de l’eau, expoſé à la pluie, au ſoleil, il arriva en bonne ſanté a l’Iſle de France, tandis que l’Équipage languiſſoit ſur les cadres. Nous les laiſſâmes dans cette Iſle ; & l’on nous donna à leur place un Soldat qui avoit mérité la corde en Europe, & qui peu de jours après ſon arrivée à Pondichery, la mérita une ſeconde fois.[1] Lorſque

  1. Ceci me donne lieu d’examiner pourquoi la Compagnie n’a pas tiré juſqu’ici plus d’avantage de ce grand nombre de ſoldats que ſes vaiſſeaux ont tranſportés aux Indes Orientales, pourquoi ces ſoldats ont toujours été autant de familles enlevées à l’État. Je crois appercevoir la cauſe de ce mal. La moitié au moins de cette multitude eſt formée de mauvais ſujets. À peine debarqués on les envoye dans les différens Poſtes. Là les mauvais corrompent les bons. La plupart y vivent avec des Negreſſes, meurent promptement & ſans poſterité. Ceux que les maladies & le climat épargnent, ne penſent à ſe marier, que lorſque la débauche leur a ruiné le corps ; & les enfans qui naiſſent de ces mariages, la plûpart noirs comme leurs meres, fruits mal-ſains de corps uſés, ſont perdus pour la Nation.

    Les enfans de famille que l’on envoye dans l’Inde, pour épargner à leurs parens la honte des châtimens qu’ils ont merités, ceux-mêmes, en qui l’habitude du crime ne ſera pas encore enracinée, ſont autant de déſerteurs nés. Il eſt naturel qu’ils cherchent à recouvrer chez l’Étranger l’honneur qu’ils ont perdu parmi leurs compatriotes. D’ailleurs, l’intérêt ne les attache point à leur Nation ; ils ſont pauvres & ſans eſpérance de devenir jamais riches. Lorſqu’une fois ils ont déſerté, la crainte de la mort les éloigne des Colonies Françoiſes ; & quand il leur ſeroit permis de revenir au Drapeau, l’amour du changement, entretenu par les occaſions & par les facilités que préſentent ces Contrees, les empêchera toujours de ſe fixer. On prevoit aiſément ce qu’en paix comme en guerre, l’État peut attendre de pareils ſoldats, qui ſont de toute Nation, & plus attachés à l’Étranger qu’à leur Patrie.

    Des intérêts communs, des liaifons de debauche, aflocient fouvent a leur defcrtion d’autres foldats, qui fans cela feroient reftes fideles a leur Patrie : & l’on voit des Officiers François ve mettre à leur tête, pouſſés par le bevoin ou par le libertinage. De maniere que deux cens foldats envoyés dans l’Inde, ne ſont pas ſeulement deux cens familles enlevées à la France ; ils ſont ſouvent pendant la guerre le plus ferme appui de ſes ennemis, & la cauſe de ſes malheurs. La derniere guerre de l’Inde a fourni plus d’un trait qui confirme ces reflexions. On répondra ſans doute qu’il eſt plus aiſé de voir le mal que d’y remedier. J’en conviens : mais c’eſt toujours un avantage que d’en ſaiſir la cauſe. La depopulation dont on ſe plaint vient 1°. Des vices des ſoldats que l’on envoye dans l’Inde, vices qui les portent à ſe détruire, pour ainſi dire, eux-mêmes.